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LA SOCIÉTÉ ANGLO-HINDOUE.

geant le respect et ne se soumettant pas à la décence, affectant l’étiquette et incapable de se plier à la politesse, ne pouvant atteindre ni la décence extérieure des formes, ni moins encore cette élégante et facile bienveillance qui est la politesse suprême et la marque distinctive d’une complète civilisation. Tout nouvel arrivant est soumis, pendant une année au moins, à la mystification douloureuse que les ouvriers de certains états et les élèves de certains colléges font subir à leurs apprentis et à leurs nouveaux condisciples ; on les entretient dans l’ignorance des usages les plus insolites, et le malaise que cette ignorance fait éprouver aux nouveaux venus est un sujet de railleries inextinguibles. On se plaît à multiplier les erreurs, souvent dangereuses pour la santé, dans lesquelles tombent les arrivans, et qui amusent cette société de gens mal élevés. L’évêque Héber, les femmes les plus délicates ou les mieux nées, n’ont pas été exempts de cette initiation pénible, qui, dans le pays, se nomme le griffonage. Les griffons, on ne sait pourquoi, sont les nouveaux venus ; c’est peut-être une altération du mot greffe, greffer, et une application de ce terme d’horticulture à la greffe indispensable des mœurs asiatiques sur les habitudes septentrionales.

Les Anglais n’ont donc moralement rien conquis ; ils se sont déformés, et voilà tout. Les Hindous ne peuvent imaginer que des hommes si mal vêtus, si peu polis, si étrangers à la décence et au bon goût, ne soient pas des barbares, et rien n’égalait l’étonnement des deux indigènes qui visitèrent Londres récemment, et qui avouèrent, mais à leur corps défendant, que la Grande-Bretagne ne manquait ni de richesse ni d’industrie.

Ainsi, pendant que les missionnaires chrétiens de toutes les communions traduisent la Bible en hindoustani et répandent leurs pamphlets religieux, le caractère du peuple envahisseur, se révélant aux indigènes sous ses couleurs les plus dures, s’oppose à toute confiance, à toute estime, à toute assimilation réelle. Nos Français, quelque latitude qu’ils aillent habiter, font aimer la facile et simple aménité de leur commerce, mais, faute de persévérance et de stabilité, ne réussissent à conserver aucune puissance et à consolider aucune force politique. Les Anglais, dont les coutumes individuelles et l’égoïsme étroit inspirent la haine ou le mépris aux populations, trouvent dans les habitudes vigoureuses d’une politique infatigable, dans les traditions d’une aristocratie qui sait gouverner, les conditions et les élémens d’une domination que rien ne peut encore détruire ou affaiblir. Ils se fient à la permanence ; il croient à la durée, et le temps, ce