Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/326

Cette page a été validée par deux contributeurs.
322
REVUE DES DEUX MONDES.

les erreurs dont on nous assourdit tous les jours. Sans doute il faut tenir compte des faits existans, quels qu’ils soient ; sans doute il ne faut pas prétendre de faire passer tout d’un coup nos capitaux et nos travailleurs d’une production à une autre ; sans doute encore, il faut éviter dans le domaine économique toute brusque et profonde perturbation. Qui a jamais voulu, qui a jamais dit le contraire ? Est-ce sérieusement qu’on redoute l’audace, la témérité de notre gouvernement, dont les ménagemens, dont la timidité en pareille matière n’ont pas de bornes ?

Hélas ! il ne l’a que trop prouvé, tout récemment encore. Qu’a-t-il fait ? Il s’agissait d’arriver à une transaction tolérable entre l’intérêt général et des intérêts particuliers ; il s’agissait de concilier la protection dont jouissent, à un degré exorbitant, certaines industries, avec l’intérêt national qui nous commande, et au point de vue du commerce, et au point de vue politique, d’établir avec plus d’une nation des relations plus étendues et plus intimes. C’est aux pouvoirs de l’état, c’était au gouvernement et aux chambres, où tous les intérêts se trouvent suffisamment représentés, qu’il appartenait de régler cette transaction. On n’a pas voulu porter ces questions directement aux chambres ; on a convoqué d’abord les conseils généraux du commerce et des manufactures. C’était dire aux intérêts particuliers : On songe à vous imposer certaines limites, dans l’intérêt général ; réunissez-vous, et dites-nous ce que vous en pensez. Au nom du ciel ! que voulez-vous qu’ils vous disent ? Ne connaissiez-vous pas d’avance leur réponse ? Cette réponse, il faut le dire, est fort naturelle. Laissez-nous tout ce que nous avons ; ne touchez point à nos priviléges, et surtout ne faites point de traités.

Nous sommes quelque peu surpris, avouons-le, que le gouvernement se prête à de pareilles discussions. Que les pouvoirs de l’état, que les chambres examinent un traité fait, lorsqu’il implique une question de finances, de douane, d’impôt, de territoire, rien de plus juste, rien de plus nécessaire. Mais qu’à priori on dise à la couronne, même sous forme de simple conseil, de ne pas conclure des traités de commerce, et que cette délibération soit prise même au sein de corps qui ne sont investis d’aucun pouvoir politique, c’est, ce nous semble, dépasser toute mesure et transporter le gouvernement là où il ne doit pas être. Est-il besoin d’ajouter que sans doute il n’y a pas eu la moindre intention d’empiètement chez les hommes honorables qui ont pris part à ces discussions ? Cela est certain. Ils n’y ont vu qu’une pure question de commerce. Toujours est-il que ce sont là des précédens fâcheux. Nous avons fait remarquer, dans le temps, que ce n’était pas sans quelque inconvénient qu’on avait appelé les conseils de département à délibérer sur la question de la légalité du recensement. Toutes ces questions ne devaient point arriver aux chambres, préjugées en quelque sorte par d’autres corps délibérans. Ces préconsultations peuvent exercer sur la législature une influence fâcheuse, ou établir entre ces corps secondaires et les chambres un dissentiment qui ne serait utile à personne.