Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/325

Cette page a été validée par deux contributeurs.
321
REVUE. — CHRONIQUE.

ciations commerciales et les réformes politiques. Il faut marcher cependant, bien que deux forces contraires, agissant en sens opposé, paraissent condamner le gouvernement à l’immobilité. Il faut marcher sans tout briser autour de soi, se mouvoir sans se laisser entraîner ni d’un côté ni de l’autre. C’est là la question de haute politique qu’il s’agit de résoudre. L’esprit n’y suffit pas ; il y faut aussi un caractère ferme et une expérience consommée. Disons-le : dans ces difficiles épreuves, dans ce jeu délicat des ressorts les plus déliés du mécanisme constitutionnel, les Anglais ont droit, plus que tous autres, de compter sur le succès, doués qu’ils sont d’un esprit éminemment positif et d’un sens pratique admirable.

Ils savent ce qu’il en coûte de tout oser sans une nécessité absolue ; ils sont à la fois actifs et patiens ; ils connaissent la puissance du temps ; ils veulent l’employer, ils n’ont pas la prétention de le devancer. Une transaction sûre leur paraît préférable à une victoire incertaine et dangereuse. C’est ainsi qu’ils avancent graduellement dans la voie des réformes, et qu’ils font peu à peu leur révolution, tout en disant qu’ils n’en veulent point. C’est dire qu’ils en auront tous les profits et en éviteront les malheurs. — En attendant, on conçoit que, s’il y a dans le cabinet anglais des ministres qui ne partagent pas les idées de leurs collègues, ces dissidens songent à se retirer. On cite le duc de Buckingham comme prêt à résigner son portefeuille à cause de la question des céréales. Le noble duc se retirerait sans pour cela passer à l’opposition. Il laisserait faire, mais ne voudrait pas se présenter aux conservateurs comme un des auteurs de la mesure.

Quant à la question de l’Irlande, on parle aussi de l’opposition de lord Stanley aux mesures proposées par sir Robert Peel. Si le fait était vrai, il ne manquerait pas de gravité. Lord Stanley est une puissance parlementaire. Il serait fâcheux que ces deux hommes éminens se trouvassent dans des camps opposés. C’est un schisme que devraient sincèrement déplorer tous les amis du progrès.

L’esprit prohibitif se réveille chez nous avec une violence nouvelle. Il s’efforce d’interdire au gouvernement toute pensée de négociations commerciales. Il voudrait voir s’élever autour de la France la muraille de la Chine. Que dis-je ? C’est plus absurde encore, car on veut bien vendre aux étrangers nos produits ; ce qu’on ne veut pas, c’est l’achat des produits étrangers. On veut le commerce sans échanges. Il est difficile de pouvoir discuter sérieusement ces étranges prétentions. Nous exportons aujourd’hui une valeur de cent millions en cotons manufacturés. Que deviendraient une partie de nos productions, si tous les pays, adoptant le même système d’exclusion, repoussaient nos cotons ? On peut faire la même question pour nos soieries, pour nos vins, pour nos draps, pour nos bronzes, pour nos objets de mode, en un mot pour tout ce que nous exportons. Tout ce qu’on importe en France n’est que le paiement d’un produit français, d’un produit de notre sol et de notre travail. C’est en perdant de vue cette vérité élémentaire, qu’on tombe dans