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FRANÇOUNETTO.

Un mès, dus mès, très mès, en joyos se passeron ;
Mès dansos, jots, escoboussols,
E touts lous plazès faribols,
Dambé las feillos s’entournèron.
Tout prenguèt, en hiber, un ayre triste e biel,
Debat la capèlo del ciel ;
Taleou ney, dins lous cans, digun plus s’azardâbo ;
Triste, cadun s’acoufinâbo
Al tour de grans fets carraillès ;
E lout-carous e fatchillès
Que fan grumi de poou l’oustal è la cabano
Eron sancé fa la pabâno
Debat lous ourmes nuts è l’entour dès paillés.


Un mois, deux mois, trois mois, en plaisirs se passèrent ;
Mais danses, jeux, escoboussols,
Et tous les folâtres plaisirs,
Avec les feuilles s’en allèrent.
Tout prit, quand vint l’hiver, un air triste et vieux
Sous la couverture des cieux ;
Dès la nuit, dans les champs, nul ne se hasardait plus ;
Triste, chacun se ramassait
Autour des grands feux carraillès ;
Et les loups-garous, les sorciers,
Qui font trembler de peur la maison et la cabane,
Étaient censés faire leur ronde
Sous les grands ormes nus et autour des paillers.

Je ne crois pas exagérer en disant qu’il faut remonter jusqu’à La Fontaine pour trouver des descriptions comparables à celle-ci. D’abord les mots originaux y abondent : l’escoboussol est la petite fête que donne le propriétaire de campagne à ses ouvriers quand le dernier grain de blé a été enlevé de l’aire ; le feu carraillé est un de ces feux à pleine cheminée comme on n’en trouve plus que dans les coins les plus reculés des provinces ; les fatchillès sont les sorciers, de fatum, d’où vient aussi le nom de fates ou fées ; mais ce n’est pas encore là ce que j’admire le plus dans ce morceau. L’harmonie imitative y est poussée à un point extraordinaire. La vague impression de terreur que donnent les nuits d’hiver est rendue de main de maître. Je n’ai jamais entendu Jasmin réciter ces vers, mais je suis convaincu d’avance qu’il doit faire frissonner les plus hardis en disant ce vers formidable :

Taleou ney, dins lous cans, digun plus s’azardâbo.