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LA SOCIÉTÉ ANGLO-HINDOUE.

depuis le matin jusqu’au soir, buvant et mangeant à perpétuité, ils n’interrompent que par la consommation d’une quantité épouvantable de cigares et par le bonheur de dormir cette vie de sensualité ignoble. À peine se réunissent-ils une fois par hasard, tant les lois qu’on s’impose lorsque l’on se trouve ensemble leur paraissent de lourdes entraves. » — « On voit dans la promenade publique de Calcutta, dit l’Oriental Herald, la plupart des vieux nawaubs ou Anglais enrichis faire passer leurs jambes par la portière de leurs voitures, sans compter pour rien la décence publique, adressant ainsi une maladroite bravade aux préjugés des castes indigènes, si amoureuses de la dignité extérieure et de la gravité réservée. » D’ailleurs, rien n’émeut plus ces Anglo-Hindous, qui ont fait du lucre la passion de leurs journées et de leurs nuits. Ils ne veulent plus entendre parler de la patrie, et plongent toutes leurs facultés assoupies dans une indifférence que la gastronomie et le sommeil interrompent à peine.

L’Anglais qui habite l’Inde depuis long-temps, et dont la peau s’est durcie en vieillissant sous le soleil qui l’a brûlé, est devenu insensible à tout ; ce n’est plus un homme mais une pierre brute enchâssée dans l’or. Le jeune Anglais qui arrive de Londres, d’Oxford ou d’Édimbourg, et qui ne comprend rien aux usages de ce monde, nouveau pour lui, s’amuse à déranger l’étiquette et à blesser toutes les susceptibilités de la nation ; s’il se met en route, porté en palanquin par ses koulis, il les fatigue de ses exigences et se met à les battre, pour démontrer la supériorité saxonne. Eux se vengent en le déposant par terre au milieu de quelque forêt, et il reste là, exposé dans sa boîte à la terrible ardeur du soleil. C’est surtout dans les stations reculées, dans ce que l’on appelle les jungles, que l’Anglais perd toute civilisation et tourne au sauvage. « Si l’on pénètre jusqu’aux asiles de ces jungles-wallahs (hommes des jungles), on les trouve vêtus des accoutremens les plus étranges, dit le major Moor, les uns suivant les modes de 1775, les autres se composant un costume musulman, français et hindou, quelques-uns la tête rasée comme des Chinois, d’autres montés sur des chameaux et allant à la chasse dans le plus bizarre équipage. Ces exilés, qui passent leur vie aux pieds de l’Hymalaya et du côté de Nossîrabad, viennent-ils rendre visite à leurs anciens amis de Calcutta et de Madras, c’est chose curieuse de voir se trémousser dans la même contredanse, chez le gouverneur, les robes de 1802, dont le corsage remontait jusque sous les épaules, les paniers de 1780, légués à quelque Anglaise par sa grand’mère, et les robes à taille de guêpe de 1816. Les hommes, coiffés et vêtus de paille