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rohilla, qui atteignait les dernières maisons du village lorsqu’il entendit un grand cri, partant du côté où il avait laissé le fakir. Il se retourna et courut à l’arbre ; il vit le fakir par terre, luttant avec le mendiant, sur le cou duquel il avait appuyé son genou. Sur le sol, à côté d’eux, se trouvaient un couteau et un nœud coulant. Le mendiant, au lieu de se rendre au village pour exécuter la commission de son bienfaiteur, s’était caché derrière l’arbre, et, saisissant le moment où ce dernier paraissait absorbé par ses apprêts de fumeur, il lui avait jeté sur la tête, pour l’étrangler, un lacet armé d’un nœud coulant. C’était un thug. Heureusement, dans ce moment même, le fakir portait machinalement ses mains à son cou, et ses doigts saisirent le lacet qui allait l’étrangler ; plus heureusement encore, il avait un couteau à sa ceinture, et il s’en servit pour couper le lacet. Ensuite, se jetant sur ce misérable, il ne tarda pas à le terrasser. Le soldat rohilla, auquel il racontait l’affaire en tenant le thug d’une main ferme, voulait le tuer sur place, ou tout au moins le conduire chez le juge du village voisin. Ce fut le fakir qui intercéda en faveur de son assassin, disant qu’il était en prières au moment où on avait voulu l’étrangler, que la main de Dieu était évidente, et qu’il ne fallait tuer personne. Mais, ajouta-t-il, je veux au moins reconnaître mon homme, et, aiguisant son couteau sur une pierre du chemin, il abattit le bout du nez du mendiant ; puis, ramassant soigneusement ses effets, il en fit un paquet, et poursuivit sa route avec beaucoup de tranquillité et de sang-froid. »

Je viens d’étudier, dans son développement complet et naïf, l’élément hindoustanique, sur lequel l’élément anglais, si bizarrement disparate, devait exercer son action. J’ai dit que la conduite des résidens britanniques n’avait pas été de nature à provoquer chez leurs nouveaux sujets l’expansion des qualités grandioses. La rudesse orgueilleuse, le défaut d’urbanité, la plus âpre vénalité, caractérisent trop souvent leurs actes. Les mérites que les Hindous admirent chez les femmes anglaises sont précisément ceux que les mœurs de l’Hindoustan et de la Grèce attribuent aux courtisanes ; c’est la danse, le chant, la poésie. Les maris et les pères de ces femmes sont à leurs yeux des pirates heureux et rapaces, et non des hommes civilisés. Il faut suivre en effet ces fils des Saxons dans leur vie domestique, surtout quand ils occupent un poste éloigné des grandes villes, pour se faire une idée de l’indépendance sauvage de leurs manières et du laisser-aller de leurs habitudes. « Les pieds toujours sur la table et non sous la table, dit le major Moor, en chemise