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REVUE DES DEUX MONDES.

Sur la liste du collecteur.
Ma femme, qui avait la coutume,
En premier, quand les vers étaient peu argenteux,
De serrer mon papier, de déchirer ma plume,
Maintenant m’offre toujours d’un air gracieux
La plume la plus fine et le papier le plus doux.
Aussi, malheur à moi, quand les Muses m’oublient,
Fais des vers ! fais des vers ! tous mes parens me crient.

Du reste, il est bien évident que Jasmin a raison de rester à Agen. Hors d’Agen, que serait-il ? Un pauvre songeur qui ne saurait plus à qui parler. À Agen, il est chez lui. Tout lui répond quand il chante ; tout lui souffle quelque mot heureux, quelque image locale, quand il en a besoin. Dès que ses vers s’échappent de sa veine, ils sont répétés partout autour de lui, ils courent les rues et les campagnes. Il est la plus grande curiosité du lieu, le premier nom que prononce, en descendant à l’auberge, le touriste anglais ou l’artiste français en voyage. Il lui faut à la fois cet entourage et ce piédestal. Sa renommée se confond avec celle du fameux Gravier et du nouveau pont d’Agen, comme sa voix est l’écho poétique des populations environnantes. Pour produire tout leur effet, ses poésies doivent être entendues sur les rives du fleuve gascon, sous le soleil de son pays ou dans une de ces belles nuits du Languedoc, si claires et si pures que je n’en ai pas vu de pareilles en Italie, même en plein été.

Nous venons de voir Jasmin se défendre de venir à Paris ; nous allons le voir maintenant plaider une autre cause qui ne lui convient pas moins. M. Dumon, député de Lot-et-Garonne et président de l’académie d’Agen, prononça un jour, dans une séance de cette académie, un discours où se trouvait le passage suivant sur Jasmin :

« Un poète nous a été donné, formé par la nature et s’élevant à l’art comme à la perfection de la nature ; ingénieux et naïf, élégant et familier tout ensemble, aimant à peindre les mœurs du peuple dans la langue que le peuple aime à parler, mais poussé par un instinct supérieur de plus nobles images et de plus hautes pensées ; fidèle à son patois comme à la langue natale de son génie, mais donnant au patois même la grace correcte et l’élégance travaillée d’une langue savante. Quel sera le sort de cette poésie originale ? Elle vivra sans doute autant que la langue qui en a reçu le dépôt ; mais cette langue elle-même doit-elle vivre ? Sera-t-elle parlée par notre postérité aussi long-temps qu’elle le fut par nos pères ? Je ne l’espère pas, ou plutôt, si j’ose dire toute ma pensée, je ne le souhaite même pas.