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ont une source inconnue et primitive ; d’autres sont évidemment le produit spontané de la création populaire. Le poète lui-même se laisse quelquefois aller, dans un de ces momens où l’expression manque à la pensée, à inventer hardiment un de ces mots pittoresques que l’analogie suggère, et qui peignent par le son même. Mais de tels exemples ne sont que trop rares. Les trois quarts des termes ne sont plus que du français patoisé, c’est-à-dire soumis à l’assimilation du son et de la forme, les dernières propriétés qui meurent dans les langues.

J’ai déjà parlé du son ; il me reste, pour finir cette digression nécessaire, à parler de la forme ; ici se retrouve la dualité que j’ai signalée. Les règles grammaticales du patois sont à très peu celles du français, tandis que les formes de ses déclinaisons et de ses conjugaisons se rapprochent des langues méridionales, et surtout de l’espagnol. Le pluriel se forme toujours par l’addition d’une s au singulier, comme en français, avec cette différence qu’en français l’s additionnelle ne se prononce pas, tandis qu’elle se prononce en patois comme en espagnol. Le pluriel en i et en e des Italiens n’y est pas connu. Dans les verbes, les personnes se marquent par les désinences, sans le secours des pronoms, comme en latin et dans toutes les langues émanées directement du latin. Les désinences des différens temps et des participes tiennent aussi du latin, et par suite de l’espagnol. Enfin, ce qu’il y a de plus original dans les formes du patois et qui montre le plus sa double nature, c’est la forme féminine. Dans l’italien et dans l’espagnol, la désinence du féminin est a ; c’était aussi la désinence féminine de l’ancienne langue romane. Le patois moderne a trouvé sans doute que c’était trop s’éloigner du français, qui a pour désinence féminine l’e muet. Il a adopté pour signe du féminin l’o, mais un o qui se prononce si insensiblement, que c’est presque un e muet ; et l’o est en effet de toutes les lettres, après notre e, celle qui se prête le plus à une prononciation à peu près insensible.

Exemple : hurous, heureux, fait hurouzo, heureuse ; poulit, joli, fait poulido, jolie ; mais ces deux mots, hurouzo, poulido, et généralement tous les mots où l’o est à la place de l’e muet, se prononcent en mettant l’accent sur l’avant-dernière syllabe, si bien que la dernière ne forme plus en quelque sorte qu’un faible murmure. Du reste, cette prononciation n’est pas exclusivement celle des mots féminins ; elle s’applique en général à tous les mots qui ont l’accent sur la pénultième, quelle que soit la voyelle de la dernière syllabe ;