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SAINT-ÉVREMOND.

à la France, sa patrie de passage, laissant à Nevers le soin de chansonner les infortunes conjugales de son beau-frère.

Une fois jetée dans cette vie d’exception, Mme Mazarin courut quelque temps le monde ; elle alla de Milan à Venise, de Venise à Sienne, de Sienne à Rome, reparut en France, puis repassa les Alpes, voyageant, ainsi que disait Mme de Grignan, qui lui donna des chemises comme elle passait à Aix, « en vraie héroïne de roman, avec force pierreries et point de linge blanc. » Des millions de cette dot tant vantée, il ne restait à la belle fugitive qu’une pension de vingt-quatre mille francs, assez maigrement servie par l’époux délaissé. Encore la devait-elle à un ordre exprès du roi, qui n’avait oublié ni la nièce de Mazarin, ni surtout la sœur de Marie Mancini. Quand Mme de Mazarin revint en France pour solliciter sa pension, on voulut la retenir à la cour. « M. de Lauzun me demanda, dit-elle dans ses mémoires, ce que je voulois faire avec mes vingt-quatre mille francs ; que je les mangerois au premier cabaret, et que je serois contrainte de revenir après, toute honteuse, en demander d’autres qu’on ne me donneroit pas. » Mais l’amour de l’indépendance fut plus fort. Elle préféra s’enterrer à Chambéry, sous la protection de son ancien soupirant le duc de Savoie. Quand celui-ci vint à mourir, la cour d’un autre de ses adorateurs, du roi Charles II, lui offrit un asile. Charles vivait alors sous les lois de la duchesse de Portsmouth, favorite altière et détestée, qui avait fait de son royal amant le très humble pensionnaire de Louis XIV. Le parti national voulut combattre cette influence funeste, et fit proposer tout simplement à Mme Mazarin de venir détrôner la maîtresse régnante. Il n’y avait là rien d’offensant dans les idées du temps. Hortense accepta sans façon la concurrence, et n’eut qu’à paraître pour rallumer chez le roi les feux du prétendant. Déjà l’astre de la duchesse pâlissait : sa rivale avait reçu du roi une pension de quatre mille livres sterling, et la cour attentive était en suspens ; mais, aussi légère en intrigue qu’en mariage, la nouvelle venue s’éprit tout à coup d’une belle passion pour un certain prince… de Monaco, et ne s’occupa plus du Stuart, qui, de dépit, lui retira sa pension, pour la lui rendre, il est vrai, bientôt après. Quant à elle, tout insoucieuse d’avoir manqué pour un caprice son sceptre de la main gauche, elle ne pensa plus qu’à mener joyeuse vie à Londres, et fit de sa maison une espèce de pendant à feu l’hôtel de Rambouillet. « On s’y entretenoit sur toutes sortes de sujets ; on disputoit sur la philosophie, sur l’histoire, sur la religion ;