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c’est tout simplement le laisser-aller d’un esprit qui se possède sans lutte et sans effort ; mais, de quelque nom qu’on l’habille, cela ne doit faire peur à personne.

Avant d’arriver au terme de cette longue carrière, doucement fournie au milieu de tant d’agitations, il faut passer par un de ces calmes amours de vieillard, qui ont tant de fraîcheur et de grace quand on ne cherche pas à transiger avec ses cheveux blancs. En 1675, l’arrivée à Londres de la duchesse de Mazarin vint porter le dernier coup aux regrets déjà bien pâles de notre exilé, qui atteignait alors sa soixante-deuxième année. Hortense Mancini, l’une de ces fameuses nièces de Mazarin, qui avaient pensé donner une reine à la France, était alors une des femmes les plus célèbres de ce monde cosmopolite des cours et des cabinets, pour nous servir d’une expression de notre marquis de Bousignac. Charles II, du temps qu’il n’était encore que simple prétendant, l’avait demandée jusqu’à deux fois en mariage sans pouvoir l’obtenir du Mazarin, et, malgré l’affront de ce double refus, il était encore tout prêt à l’épouser lors de son retour en Angleterre, si ses ministres ne fussent intervenus. Le duc de Savoie se mit ensuite sur les rangs sans plus de succès. Il faut dire que la dot était de vingt millions, ce qui donnait à l’oncle quelque droit de faire le difficile. Par une cruelle dérision, la pauvre Hortense, pour qui les rois et les princes n’étaient pas assez bons, tomba, avec sa dot, entre les mains du maréchal de La Meilleraye, espèce de maniaque bigot et taquin, qui prit son nom au lieu de lui donner le sien, et la rendit en revanche la plus malheureuse femme du monde. Enfant volontaire et gâté, légère, galante, amoureuse avant tout de mouvement et de liberté, et chrétienne indigne en vraie nièce de cardinal, Mme Mazarin se trouva soumise à une sorte de vie claustrale, à laquelle, par un raffinement de rigorisme conjugal, on refusait même les consolations inoffensives de l’indépendance intérieure. Il faut ajouter qu’elle le rendit bien à M. de La Meilleraye. Après sept ans d’espiègleries mutines, de bouderies, de fuites à l’hôtel Conti, à l’hôtel Soissons, aux abbayes de Chelles et de Sainte-Marie de la Bastille, elle s’habille en homme par une belle nuit de juin 1668, avec une de ses filles nommée Nanon, et se lance à travers champs sous la singulière sauvegarde d’un domestique de son frère, le duc de Nevers, et de Courbeville, un gentilhomme au duc de Rohan, qu’elle n’avait jamais vu. Elle alla ainsi jusqu’à Milan, où l’attendait sa sœur, Mme la connétable, et dit adieu de grand cœur