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SAINT-ÉVREMOND.

homme affoibli par la maladie, s’écrie Millaut le théologal ; chacun fait son métier, et n’en répond pas. Je suis théologal il y a vingt ans, et ne suis pas plus assuré de ma théologie que vous de votre médecine ; cependant je n’ai pas le moindre scrupule, car, comme j’ai dit, chacun sa profession. » Une sorte de répulsion instinctive se laisse apercevoir chez Saint-Évremond toutes les fois que viennent à se rencontrer sous sa plume ces mots encore si révérés de docteurs et de théologiens. « Il n’y a rien de si bien établi chez les nations, dit-il quelque part, qu’ils ne soumettent à l’extravagance du raisonnement. On brûle un homme assez malheureux pour ne pas croire en Dieu, et cependant on demande publiquement dans les écoles s’il y en a un. »

Ces plaisanteries à bout portant de notre gentilhomme esprit fort ouvrent évidemment la voie aux hardiesses religieuses du XVIIIe siècle. Il y a loin pourtant de cette méfiance moqueuse d’honnête homme qui fait ses réserves aux sarcasmes, trop souvent grossiers, de Voltaire, aux invectives furibondes de Raynal et de Diderot. Saint-Évremond reste chrétien, quoi qu’il en ait ; quand il parle du christianisme, il dit nettement « notre religion, » et même il ne s’agit pas seulement avec lui d’un christianisme vague et purement philosophique, comme il s’en fabrique aujourd’hui. « Dans la diversité des créances qui partagent le christianisme, dit-il, la vraie catholicité me tient autant par mon élection que par habitude et par les impressions que j’en ai reçues. » Croyant, incrédule, railleur de bonne foi, avec des retours sincères au sentiment religieux, il laissait flotter tranquillement son esprit, disant, sans s’émouvoir, « que le plus dévot ne peut venir à bout de croire toujours, ni le plus impie de ne croire jamais. » Dans un portrait qu’il s’est plu à faire de lui-même, Saint-Évremond expose tout à l’aise cette incrédulité pacifique, en quelques vers, assez mauvais du reste, mais qui n’ont à coup sûr rien d’impie.

De justice et de charité,
Beaucoup plus que de pénitence,
Il compose sa piété ;
Mettant en Dieu sa confiance,
Espérant tout de sa bonté,
Dans le sein de sa providence
Il trouve son bonheur et sa félicité.

Rousseau aurait appelé cela du déisme, et Fénelon du quiétisme :