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donna ses grandes entrées dans la république des lettres, où jusqu’alors on l’avait jugé trop futile pour s’occuper beaucoup de lui. Il traduisit même sa Matrone d’Éphèse, et mit sur la voie La Fontaine, autre philosophe de la même école, moins l’erudito luxu, qui n’en sut pas moins retrouver sa parenté, et donner dans sa bibliothèque, c’est-à-dire dans celle de Mme de la Sablière, une place à Pétrone, entre Baruch et Rabelais.

Entre tous ses amis de Londres, Saint-Évremond en avait distingué deux, le duc de Buckingham et M. d’Aubigny, ce janséniste homme d’esprit qu’il mit en scène après le père Canaye. Ce furent eux qui le poussèrent à écrire sa comédie de Sir Politick would be (le prétendu politique), comédie « à la manière des Anglais, » est-il dit dans l’édition de ses œuvres ; et véritablement le goût français aurait peine à s’en accommoder tout-à-fait. Cela ne ressemble à rien de ce que nous appelons une comédie, ni comme intrigue, ni même comme dialogue. Il est vrai que Sir Politick n’a jamais eu la prétention de paraître sur les planches, et bien lui en a pris. Nous pouvons toutefois, sans outre-passer nos droits d’indulgence, demander grace pour un tableau de mœurs délicieusement touché, d’autant plus piquant pour nous que le même ridicule est encore aujourd’hui sous nos yeux, conservant les mêmes allures, avec cet attrait de plus qu’il a changé de place.

C’est un touriste allemand qui fait ainsi sa profession de foi :

« C’est une coutume générale en Allemagne que de voyager. Nous voyageons de père en fils, sans qu’aucune affaire nous en empêche jamais. Sitôt que nous avons appris la langue latine, nous nous préparons au voyage. La première chose dont on se fournit, c’est d’un itinéraire qui enseigne les voies ; la seconde, d’un petit livre qui apprend ce qu’il y a de curieux en chaque pays. Lorsque nos voyageurs sont gens de lettres, ils se munissent, en partant de chez eux, d’un livre blanc bien relié qu’on nomme Album amicorum, et ne manquent pas d’aller visiter les savans de tous les lieux où ils passent, et de le leur présenter, afin qu’ils y mettent leur nom ; ce qu’ils font ordinairement, en y joignant quelques propos sentencieux et quelque témoignage de bienveillance en toutes sortes de langues. Il n’y a rien que nous ne fassions pour nous procurer cet honneur, estimant que c’est une chose autant curieuse qu’instructive d’avoir connu de vue ces gens doctes qui font tant de bruit dans le monde, et d’avoir un specimen de leur écriture. Ce livre nous est aussi d’un grand secours dans nos débauches, car, lorsque toutes les santés ordinaires