Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/265

Cette page a été validée par deux contributeurs.
261
SAINT-ÉVREMOND.

parens ; puis, craignant une perquisition, il mena quelque temps une vie errante à travers les provinces frontières, marchant la nuit, et ne s’arrêtant qu’en lieu sûr. Las enfin de tant d’alarmes et de précautions, il sortit furtivement du royaume vers la fin de l’année, et se réfugia en Hollande, l’asile classique des proscrits de cette époque.

Il n’y avait là rien de fort effrayant pour un homme qui avait passé par la fronde et par Richelieu. Une fuite était un cas prévu dans la série des chances qui attendaient tout homme de cour. Du reste, après Gaston d’Orléans et tant d’illustres personnages, à finir par le grand Condé, il était bien permis à un simple maréchal de camp de passer la frontière, sinon en partie de plaisir, du moins comme une chose assez naturelle, et avec l’espoir légitime de revenir bientôt.

Saint-Évremond passa donc gaiement les premiers jours de l’exil. Il emportait avec lui assez d’argent comptant pour être de long-temps à l’abri du besoin, sans compter une rente de deux cents écus que lui avait faite le maréchal de Créqui, et sa légitime de Normandie. Il laissa bientôt la Hollande pour l’Angleterre, où l’appelaient de nombreux amis qu’il s’y était faits l’année précédente, lors de l’ambassade du comte de Soissons, venu à Londres avec l’élite de la cour de France pour fêter la restauration des Stuart. Bel esprit, savant viveur, et par-dessus tout causeur plein de sens et de séduction, Saint-Évremond avait eu le même succès à Londres qu’à Paris. À peine reparut-il à la cour joyeuse de Charles II, qu’il se vit entouré de tout ce qu’elle possédait d’esprits sérieux ou aimables et de seigneurs distingués, Cowley, Waller, Hobbes, le chevalier Digby, le duc d’Osmond, milord Croftz, les comtes de Saint-Albans et d’Arlington. Déjà avait commencé pour les Anglais cette réputation de libres penseurs qui sonnait si mal aux oreilles du grand roi, élevé au bruit de leur brutale révolution. La philosophie calme et indépendante de Saint-Évremond put respirer à l’aise dans cette atmosphère de tolérance universelle. Ni princes, ni ministres, ni jésuites, ni jansénistes, n’avaient beaucoup, à vrai dire, entravé ses allures, du temps qu’il était en France ; les décisions même de l’opinion, en matière politique comme en matière littéraire, avaient glissé sur sa raison sans l’entamer. Il manquait néanmoins à ces résistances instinctives d’un esprit maintenu droit par le sentiment seul de sa force, l’autorité de l’exemple et l’appui du milieu. Il trouva l’un et l’autre en Angleterre. Là, Saint-Évremond ne fut plus un esprit fort, mais un philosophe, philosophe exclusivement pratique il est vrai, en dehors de toute école et de toute théorie, et qu’on ne saurait rallier sous aucun