Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/264

Cette page a été validée par deux contributeurs.
260
REVUE DES DEUX MONDES.

bles et de disgraces, et pouvait à bon droit croire sa vie fixée pour toujours ; mais il était loin de compte avec le sort. Tout indulgente et modérée que fût la moquerie de Saint-Évremond, elle était trop universelle, trop insoucieuse des personnes pour être sans danger à cette cour de France, telle que l’avait laissée Richelieu. Déjà Condé lui en avait appris quelque chose. En 1654, Mazarin lui avait fait sentir par une captivité de deux ou trois mois à la Bastille l’inconvénient de certaines plaisanteries. L’incorrigible railleur ne se contente pas de la leçon. En 1659, il suit le cardinal aux conférences d’où sortit la paix des Pyrénées, et pendant que d’un bout du royaume à l’autre les joyeuses volées de cloches convoquent la France entière à un Te Deum général, lui n’a rien de plus pressé que d’écrire en cachette au marquis de Créqui une longue lettre dans laquelle il couvre de ridicule et le négociateur et le traité. Jusque-là tout va bien. La lettre, après avoir passé seulement par un petit nombre de mains sûres, revient bientôt entre les mains de son auteur, qui tient sous clé le scandale, et, pour plus de sûreté, Mazarin meurt quelques mois après grand ami de Saint-Évremond, qu’il avait appelé au chevet de son lit de mort pour lui lire sa fameuse satire des troubles de Normandie. Celui-ci ne pensait déjà plus à rien ; mais voici que le roi le nomme pour être de ce voyage en Bretagne (1661), pendant lequel Fouquet fut arrêté, et, avant de partir, il laisse de confiance la cassette où sont ses papiers entre les mains de Mme du Plessis-Bellière, intime amie du surintendant. Arrive la catastrophe de Vaux ; les gens du roi font une descente chez tous les amis de Fouquet, et s’emparent de la cassette de Saint-Évremond, où Colbert et Le Tellier découvrent la fatale lettre sur la paix des Pyrénées. Les deux élèves de Mazarin, jaloux de se montrer fidèles à la mémoire récente encore de leur maître, jettent les hauts cris auprès du roi, et intéressent si bien sa susceptibilité personnelle dans cette affaire posthume, qu’ils obtiennent un ordre d’envoyer Saint-Évremond à la Bastille. Pendant ce temps, le satirique correspondant du marquis de Créqui, peu inquiet de son crime inédit de lèse-majesté, s’en revenait à petites journées de la maison de campagne du maréchal de Clérembaut. Un des gens de Gourville, envoyé en poste à sa rencontre, le joignit dans la forêt d’Orléans, et lui apprit qu’il marchait droit au-devant de la Bastille. L’exemple de Bassompière n’était pas rassurant, et Saint-Évremond, qui avait goûté une fois déjà du régime de la prison, ne se souciait pas de faire le pendant de cette longue infortune. Il alla se cacher d’abord en Normandie, chez ses