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voisinage de Dajhmal, dit miss Emma Roberts, s’élève un cénotaphe consacré à la mémoire d’Auguste Cleveland, ancien juge du district de Boglipore. Deux fakirs sont employés à alimenter une lampe qui brûle perpétuellement en mémoire de ses vertus et de sa bienfaisance. Tous les ans, au jour anniversaire de sa mort, le peuple des environs se réunit auprès du tombeau, et une fête solennelle témoigne de la vivacité d’une reconnaissance qui touche à l’idolâtrie. Cet excellent homme est mort très jeune, à vingt-neuf ans. Il est impossible de faire plus de bien dans une carrière plus restreinte. Depuis l’époque de sa nomination à Boglipore, il protégea contre les réactions britanniques et contre l’iniquité des autres castes les pauvres habitans des montagnes voisines. La civilisation et le bien-être de toutes ces peuplades furent dus à ces efforts. Il gagna leur confiance, construisit pour eux des bazars où ils apportèrent leurs marchandises, protégea leur commerce, et leur imposa des règlemens qu’ils suivirent avec exactitude, et dont le résultat fut de les enrichir en les civilisant. On ne prononce dans cette contrée le nom de Cleveland que comme celui d’un saint. »

Assurément les Anglais auraient pu tirer parti de cette fidélité au souvenir, de cette mémoire du cœur, alliée à une religion du serment, à une fidélité dans les engagemens qui d’ailleurs n’empêche aucun Hindou de mentir, s’il y va de son intérêt, et qu’il n’ait point engagé sa promesse antérieurement. Un boucher, que l’empereur Hayder-Ali soupçonnait de favoriser les communications de deux de ses prisonniers anglais avec l’armée ennemie, se laissa attacher à la gueule d’un canon, et vit la mèche embrasée s’approcher de la lumière sans sourciller et sans faire aucun aveu qui compromît ses amis. Tous les jours, il leur jetait, par le soupirail du caveau dans lequel ils étaient renfermés, une tête d’agneau fraîchement coupée, et dont les dents serrées contenaient un nouveau billet. Remis en liberté, il continua ce mode singulier de communication, qui ne fut connu, dit le colonel Tod, qu’après sa mort et par l’aveu des Anglais eux-mêmes. Cette obstination, cette permanence dans les sentimens, cette persévérance souple, cette éternité des attachemens et aussi des vices, se révèlent dans d’autres faits que le missionnaire Dubois, Morier et Malcolm ont rapportés. Un soubhadhar, ou officier de cavalerie indigène, mis injustement à la réforme, porta sa plainte au gouvernement local, qui ne voulut pas y faire droit. Sans se décourager, il s’embarqua pour l’Angleterre à bord d’un vaisseau qui allait mettre à la voile, se présenta devant la cour des directeurs à Londres,