Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/257

Cette page a été validée par deux contributeurs.
253
SAINT-ÉVREMOND.

en Normandie, où il arriva juste à temps pour assister aux premiers troubles de la fronde. Nul ne semblait devoir faire un meilleur frondeur que ce caustique gentilhomme dont la raillerie indépendante venait de narguer jusqu’au pied de sa tente le vainqueur de Rocroy, de Fribourg et de Lens ; les meneurs du parti songèrent donc à le gagner dès l’abord.

Mais Saint-Évremond n’était pas seulement un homme d’esprit. Ce qui dominait surtout dans cette nature fine et mordante, c’était un admirable bon sens que rien n’influençait, ni l’opinion, ni l’entourage, et qui allait vite au fond des choses. Aussi ne prit-il pas un moment au sérieux cette grande mystification de la fronde, qui avait peut-être un sens dans les rues de Paris, où la foule, un peu à l’aventure il est vrai, avait accepté pour drapeau le rochet brodé d’un Brutus petit maître et tonsuré, mais non dans les rangs de cette noblesse étourdie jouant à la révolte, en Normandie, à la suite du duc de Longueville. Cette soi-disant émancipation de la noblesse, cette dernière convulsion de la féodalité expirante, comme nous disons nous autres, n’inspira au cadet de Saint-Denys qu’un fou rire qu’il satisfit tout à l’aise en écrivant sa satire intitulée : Retraite du duc de Longueville en Normandie.

L’arme nationale du ridicule a rarement été maniée avec autant d’adresse et de bonheur que dans ce petit pamphlet de seize pages, à la hauteur, pour le fond comme pour la forme, de la Satire Ménippée. Le duc de Longueville se décide à venir haranguer les conseillers du parlement de Rouen, après avoir fait toutefois observer par précaution, du haut d’une tour, la contenance du peuple. Le peuple est tout à la joie ; le parlement entraîné promet autant d’arrêts que l’on voudra, sans rien examiner, sous la condition qu’on supprimera le semestre, et le duc, en attendant l’armée qu’il aura, ne songe plus qu’à en distribuer les charges. Ici se déroule une suite de malins croquis, dessinés tous de main de maître. Varicarville, l’esprit fort, se refuse d’abord à tout emploi, « ayant appris de son Rabbi que, pour bien entendre le vieux Testament, il y faut une application entière, et même se réduire à ne manger que des herbes, pour se dégager de toute vapeur grossière. » Il accepte pourtant le soin de la police. « Mais, comme il arrive toujours cent malheurs, il avait oublié à Paris un manuscrit du comte Maurice, dont il eût tiré de grandes lumières pour l’artillerie et pour les vivres, ce qui fut cause vraisemblablement qu’il n’y eut ni munitions ni pain dans cette armée-là. » Saint-Ibal ne demande que l’honneur de faire entrer les ennemis