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SAINT-ÉVREMOND.

Dites-moi, s’il vous plaît, comme il faut que je fasse
Ne dois-je pas baiser votre sacré talon ?

GODEAU.

Nous sommes tous égaux, étant fils d’Apollon.
Levez-vous, Colletet.

COLLETET.

Levez-vous, Colletet. Votre magnificence
Me permet, monseigneur, une telle licence ?

GODEAU.

Rien ne saurait changer le commerce entre nous :
Je suis évêque ailleurs, ici Godeau pour vous.

COLLETET.

Très révérend seigneur, je vais donc vous complaire.

GODEAU.

Attendant nos messieurs, que nous faudrait-il faire ?

COLLETET.

Je suis prêt d’obéir à votre volonté.

Ce ne sont jusqu’ici que les politesses préliminaires. La différence de rang entre les deux enfans d’Apollon, la condescendance protectrice du grand évêque, l’empressement servile de l’humble Colletet, qui courbe jusqu’à terre son échine crottée, composent peut-être une donnée plus comique au fond que la familiarité complaisante des deux pédans de Molière, qui se grattent tranquillement à tour de rôle, de prime-abord et du même air.

Godeau s’empare ensuite majestueusement de la parole :

Oh bien ! seul avec vous ainsi que je me voi,
Je vais prendre le temps de vous parler de moi.
Avez-vous vu mes vers ?

Et le voilà qui entonne son propre éloge, laissant à peine à Colletet le temps d’approuver. Mais le pauvre diable se lasse à la fin de laisser traîner son admiration à la remorque, au profit exclusif de son interlocuteur. Pour varier le discours, il essaie à son tour de le mettre à la première personne. L’autre, qu’on interrompt brusquement, change aussitôt de ton. Ce n’est point par une méprise que se fait la rupture, et la marche n’en est que plus naturelle.

COLLETET.

Mais, sans parler de moi trop à mon avantage,
Suis-je pas, monseigneur, assez grand personnage ?