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LA SOCIÉTÉ ANGLO-HINDOUE.

satin rouge brodé, avec des robes de crêpe violet, avec une écharpe jaune venue de Paris, coiffées en cheveux, et un voile blanc sur la tête. Tandis que les produits de l’Orient, si ardemment désirés par nos femmes, ont en Europe une valeur exagérée, les Anglaises de l’Inde acceptent avec empressement les débris et le rebut des manufactures européennes. Elles ont peur d’être confondues avec les femmes hindoues, et vont au bal vêtues de costumes fanés qui les distinguent des objets de leur dédain. « Elles se procureraient sans peine à Benarès et à Calcutta de la mousseline brodée d’or et d’argent, de la dentelle d’or et d’argent, des gazes superbes, des garnitures du plus beau modèle, des ceintures, des boucles d’oreilles de l’or le plus pur et travaillées avec une finesse exquise ; elles aiment mieux les joyaux éphémères et déjà passés de mode que l’ouvrier européen fabrique ou plutôt simule au moyen de la feuille de métal la plus mince. Elles négligent même ces colliers si merveilleusement sculptés que l’on dirait autant de pierres précieuses ; ce sont des gouttes d’or suspendues à une chaîne d’or excessivement fine. Je n’ai rien vu de plus délicat et de plus beau. »

Ce dédain anglais, mêlé à une étrange grossièreté et à la recherche bizarre d’une étiquette impossible à conserver, aliène les indigènes qui, doués d’une nature délicate et sensible, sont très capables de gratitude, et dont un peu d’affabilité et de justice accomplirait la conquête morale. Leur reconnaissance égale leur susceptibilité. On les a vus se rendre en foule chez un magistrat disgracié, et duquel ils n’avaient plus rien à attendre. Aujourd’hui encore ils récitent et chantent des hymnes en l’honneur de ce Hastings qui leur a fait du bien il y a soixante ans, et que les journaux européens, trompés par les déclamations de Burke, représentent comme un monstre.

C’est quelque chose de magnifique dans l’histoire morale de l’humanité que cette gratitude indélébile, ce sentiment profond, cette incapacité d’oubli, qui se trouve au fond du caractère hindoustanique. Le nom d’Alexandre-le-Grand (le grand Secunder) est encore vivant dans ce pays singulier, où le souvenir dure toujours. Vingt villages portent le nom d’Alexandre, et toutes les castes prononcent son nom avec respect. Vous rencontrez près d’Agra une tombe sur laquelle brûle toujours une lampe que les Hindous ne cessent pas d’alimenter. C’est celle d’un officier anglais, dont la vie fut consacrée à des actes de bienfaisance. Quand les cipayes passent devant le tombeau, ils ne manquent pas de lui porter les armes. « Dans le