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SAINT-ÉVREMOND.

droit ; mais, sur le point de devenir candidat sérieux à l’honneur de siéger sur les fleurs de lys, une autre vocation se déclara chez le jeune cadet. Malgré sa précocité intellectuelle, l’Esprit ne se sentait pas fait précisément pour la vie tranquille et studieuse du magistrat : en même temps que ses professeurs le vantaient aux autres écoliers, on parlait dans les salles d’armes de la botte de Saint-Évremond. Bref, il ferma bientôt les Institutes et le Droit Coutumier, et remit joyeusement à l’air son épée de gentilhomme. C’était alors le temps du règne de Richelieu. En lutte à la fois contre les protestans, contre les grands du royaume, contre l’Autriche, l’Espagne et la Savoie, la fière et belliqueuse éminence ne laissait point les gens de guerre manquer d’occasions. Saint-Évremond, qui avait débuté à seize ans par la fameuse campagne de Savoie, où nos soldats enlevèrent à la course le redoutable Pas-de-Suze, Saint-Évremond fut nommé lieutenant à dix-neuf ans. Cinq ans plus tard, on lui donna une compagnie, immédiatement après le siége de Landrecies.

Tout ceci ne ressemble guère à l’apprentissage d’un homme de lettres, et celui qui eût annoncé alors au brave capitaine des armées du roi que la critique aurait quelque jour un compte à régler avec lui, celui-là l’eût assurément trouvé fort incrédule. Néanmoins la vie brutale des camps ne pouvait absorber tout entier un esprit si curieux, si ennemi de l’exclusion. Il arriva que cet écolier quelque peu bretteur fit un soldat lettré. Les vieux historiens, les vieux philosophes et les vieux poètes avaient suivi Saint-Évremond sous la tente, et sa réputation de merveilleux causeur groupait autour de lui les plus grands seigneurs, qui le traitaient en ami et en maître bien plutôt qu’en cadet à deux cents écus de pension.

Pendant ce temps, les années marchaient ; Richelieu venait de descendre dans la tombe, entraînant bientôt après lui son pupille couronné ; la régence d’Anne d’Autriche avait commencé, et les esprits respiraient plus à l’aise, délivrés du maître impitoyable qui depuis dix-huit ans tenait tout en bride. Des scènes nouvelles se préparaient qui devaient achever l’éducation pratique du jeune philosophe en justaucorps. Mais, en attendant la fronde, il fallait obéir quelque temps encore à l’impulsion puissante imprimée aux affaires par le grand ministre. La période française de la guerre de trente ans arrivait alors à son moment décisif. La guerre était partout, aux Alpes, aux Pyrénées, sur le Rhin, aux Pays-Bas. Saint-Évremond n’avait eu garde de manquer à une pareille fête. Il servait à la frontière de Champagne, au poste d’honneur, là où commandait un général de