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CRITIQUE LITTÉRAIRE.

dans l’ode, dans la méditation, dans l’élégie, dans la fantaisie, dans le roman même, en tant qu’il est lyrique aussi et individuel, je dirai plus, en tant qu’il rend l’ame d’une époque, d’un pays : mais ceci s’éloigne. À ne prendre que l’ensemble, on a véritablement créé le lyrique en France, non plus par accident, mais par une production riche et profonde. On a, en bien des sens, comme redonné la main au XVIe siècle, par-delà les deux précédens. Le côté par où ces deux derniers avaient fait défaut est précisément celui où l’on a repris l’avantage. Une chaîne imprévue s’est renouée. On n’a pas été tout-à-fait indigne, à son tour, de ces grands contemporains, Goethe, Byron. Une branche nouvelle et toute fleurie s’est ajoutée à notre vieil arbre régulier qui la promettait peu.

« J’étais sorti le matin pour chasser le sanglier, et je suis rentré le soir ayant pris beaucoup de cigales. »

Mais les cigales sont harmonieuses. — Eh bien ! l’école poétique moderne, au pire, peut se dire comme ce chasseur-là. Après tout, le succès humain n’est guère jamais mieux.

Quant à l’avenir littéraire prochain, quel est-il ? Il y aurait témérité à le vouloir préjuger. Dans une brochure récente imprimée à Berlin et sur notre propre poésie, M. Paul Ackermann, qui est très Français malgré la tournure germanique de son nom, et qui, à cette distance, s’occupe à fond de l’école et de la question poétique moderne comme pourrait faire sur une phase accomplie un érudit systématique et ingénieux, M. Ackermann conclut en terminant : « Pour nous, nous croyons fermement qu’un nouveau XVIIe siècle est réservé à la littérature française ; mais il faut le préparer par les idées, par la force morale et la science artiale. L’époque de transition, le second XVIe siècle, où nous nous trouvons, a commencé par un Ronsard, il faut prendre garde qu’il ne finisse par un Du Bartas et un Malherbe[1]. »

Laissons ces noms, ces rapprochemens, toujours inexacts, et qui

  1. Du Principe de la Poésie et de l’Éducation du Poéte (1841, Paris, Brockhaus, rue Richelieu, 60). — M. Ackermann a publié en 1839 l’Illustration de Du Bellay, avec une préface où il commençait l’exposé de ses vues littéraires ; il les a reprises et poussées depuis dans la préface d’un volume intitulé Chants d’Amour (Crozet, 1841). Les objections qu’on peut faire à l’auteur, à chaque pas, sont de toutes sortes et des plus considérables ; mais il est instruit, il est ingénieux, il fait penser. Et puis rien n’est singulier pour l’école moderne comme de se voir dans ce miroir-là, qui est déjà, à certains égards, celui du philologue et du scholiaste opérant sur une langue morte. Cela donne à réfléchir.