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3o Je fais un troisième groupe, et de poètes encore : ceux que j’y place, je les nommerai ici bien moins, quoiqu’ils ne soient pas à mépriser. Voici comment je les définis : gracieux et sensibles, mais plus faibles et imitans ; ou habiles, mais de pure forme ; ou assez élevés, et même ambitieux, mais sans art.

Après cela vient le gros de l’armée, et plus de groupe ; la foule des rimeurs, parmi lesquels, certes, bien des cœurs sincères, quelques caporaux, et de bons soldats.

Mais vous, dans cette armée, vous vous faites le commissaire ordonnateur des livres ; et de quel droit ? dira un plaisant. — J’accepte le ridicule du rôle, et j’arrive aux choses. À la manière dont le corps de bataille m’apparaît rangé et comme en si bel ordre après la lutte, il est évident que je ne considère point la bataille elle-même comme perdue. N’est-il pas temps en effet que nos vieux adversaires, bon gré mal gré, le reconnaissent ? l’école poétique moderne a réussi. Hélas ! on peut l’accorder ; assez d’échecs et d’ombres tempèrent son triomphe, et en doivent rendre le Te Deum modeste.

Et d’abord elle n’a rien fait en art dramatique qui ajoute à notre glorieux passé littéraire des deux siècles : Corneille, Molière, Racine, sont demeurés debout de toute leur hauteur et hors d’atteinte. Je sais ce que de dignes successeurs, et à la fois novateurs habiles et prudens, ont pratiqué de louable pour soutenir et prolonger l’héritage. Je sais aussi les nobles audaces premières, et les témérités qu’on aimait, et la verve ou l’intention persistante de quelques-uns. Mais la comédie du temps, chacun le dira, s’il fallait la personnifier dans un auteur, ne se trouverait point porter un nom sorti des rangs nouveaux. Quant à la tragédie,… il n’en est qu’une ; Romains, montons au Capitole ; retournons à Polyeucte, et allons demain applaudir Chimène.

Serait-ce qu’aujourd’hui une certaine élévation d’idées, chez le poète, se prête moins qu’autrefois à la pratique et aux conditions du drame ? Pour y réussir, il ne faut pas tant marchander peut-être, ni avoir d’abord des visées si hautes, si calculées ? Un génie naturel décidé se tirerait de là, je le crois bien. Toujours est-il qu’à cet égard, les hautes espérances des débuts ont peu donné.

L’école moderne n’a pas non plus résolu cette question de savoir s’il est possible en français de faire un poème de quelque étendue, un poème sérieux et qui ne soit pas ennuyeux ; malgré Jocelyn, qui était si digne et si près de la résoudre, la question demeure pendante.

Voilà les échecs que je ne crois pas amoindrir ni dissimuler. On a réussi pourtant : où donc ? On a réussi dans le lyrique, c’est-à-dire