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ne les a pas moins bien exprimés. Sa petite Chloé surtout est charmante ; cette jolie enfant, pendant qu’Homère chante et que tous se taisent, ne peut s’empêcher d’interrompre et d’interroger, de demander si tous ces grands combats sont vrais, si le vieil aveugle les a vus jadis de ses yeux :

« Connaissais-tu Priam, Paris, son frère Hector,
« Et le fils de Laërte et le sage Nestor ?
« D’Achille au pied léger habitais-tu la tente ?
« Quand on a rapporté la dépouille sanglante
« De son ami Patrocle, Homère, étais-tu là ?
« Oh ! mon père, réponds, as-tu vu tout cela ? »

Mais c’est surtout la comparaison suivante qui, pour l’idée du moins et le jet, me semble ressaisir à merveille la grace homérique :

Parfois, quand un ruisseau courant dans la prairie
Sépare encor d’un champ, où croît l’herbe fleurie,
Un troupeau voyageur aux appétits gloutons,
Laissant se consulter entre eux les vieux moutons,
On voit, pour le franchir, quelque agneau moins timide
Choisir en hésitant un caillou qui le ride,
S’avancer, reculer, revenir en tremblant,
Poser un de ses pieds sur ce pont chancelant,
Et s’effrayer d’abord si cette onde bouillonne,
En frôlant au passage une fleur qui frissonne,
Si le buisson au vent dispute un fruit vermeil,
Ou si le flot s’empourpre aux adieux du soleil,
Puis reprendre courage et gagner l’autre rive ;
Alors tout le troupeau sur ses traces arrive ;
Dans le gras pâturage il aborde vainqueur,
Il s’y roule en bêlant dans les herbes en fleur,
Tandis que seul au bord le berger le rappelle,
Et trop tard sur ses pas lance son chien fidèle.

De même, de Chloé lorsqu’on entend la voix,
En mille questions tous parlent à la fois :
On dirait une ruche où chaque travailleuse
À la tâche du jour mêle sa voix joyeuse :
Un jeune homme s’approche et s’informe au vieillard
Comment en Méonie on attelait le char ;
Tout bas la jeune fille en rougissant demande
Ce qui rendait Vénus favorable à l’offrande ;
Si l’épouse d’Hector portait de longs manteaux
Si dans Milet déjà l’on tissait les plus beaux ;