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rons seulement vous présenter nos hommages. — Alors ce brutal s’est contenté de grogner le mot anglais djoh (go ! allez-vous-en) ! » Il a fallu que la politique anglaise fût singulièrement forte pour triompher d’une pareille conduite et des préjugés légitimes ou illégitimes des indigènes ; les actions les plus simples et les plus innocentes des officiers et des agens britanniques se présentent, aux yeux des Hindous, sous un aspect que la religion et l’habitude leur rendent ignoble ou odieux. Voici comment le rédacteur d’un oukhbar décrit un dîner anglais : « Les gentilshommes de dignité donnaient hier au soir une grande fête à laquelle étaient invités tous les officiers civils et militaires. Il y avait un petit cochon sur la table, dans lequel M. *** osa plonger son couteau ; il en dépeça les membres qu’il envoya aux convives ; même les femmes ne se firent pas faute d’en manger. Après s’être remplis de cette viande malpropre et de beaucoup d’autres, ils se sont mis à faire un grand bruit et à parler tous ensemble, sans doute parce qu’ils étaient ivres. Tous se tenaient debout en répétant à la fois : Hip ! hip ! hip[1] ! Ensuite ils se remettaient à avaler une quantité considérable de vin, jusqu’à ce que, se trouvant gonflés comme des éponges, ils se précipitassent hors de la salle, tirant et poussant les femmes des autres, qu’ils finirent par faire sauter indécemment dans une chambre voisine, selon leur coutume. On a remarqué que l’imbécile capitaine *** restait à table, occupé à absorber du vin rouge avec deux ou trois vieillards, pendant que sa femme donnait le bras au jeune capitaine ***. Les palanquins et les porteurs suivaient par derrière ces deux personnes impudentes. »

Tels sont les jugemens que portent sur les Anglais les journalistes hindous, et l’on doit convenir que les conquérans de l’Inde ne font rien pour combler l’abîme creusé par cette différence de coutumes. Tout au contraire, les Anglaises affectent une répugnance ridicule pour le costume des femmes du pays, qui est si convenable, si élégant et si majestueux. Elles préfèrent les falbalas fanés de 1815 et les petits chapeaux de 1812, revendus par les marchands de passage qui traversent les solitudes des jungles, aux plis flottans, aux bijoux d’orfèvrerie merveilleusement travaillés, aux nattes élégantes, à la mousseline moelleuse dont les draperies enveloppent les femmes des musulmans et des Hindous. Ce sont surtout les filles des mariages mixtes qui recherchent cette ridicule parodie de nos modes : on voit des Portugaises mariées à des Hindous se promener en pantoufles de

  1. Coutume anglaise très répandue dans les clubs et dans les colléges.