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CRITIQUE LITTÉRAIRE.

rêveries que M. Victor Hugo a lui-même adressées à Mlle Bertin sous le titre de Pensar, Dudar, et de Sagesse. Une des questions qu’elle se pose le plus habituellement est celle-ci :

Si la mort est le but, pourquoi donc sur les routes
Est-il dans les buissons de si charmantes fleurs ;
Et, lorsqu’au vent d’automne elles s’envolent toutes,
Pourquoi les voir partir d’un œil mouillé de pleurs ?

Si la vie est le but, pourquoi donc sur les routes
Tant de pierres dans l’herbe et d’épines aux fleurs,
Que, pendant le voyage, hélas ! nous devons toutes
Tacher de notre sang et mouiller de nos pleurs ?

À cette contradiction inévitable ici-bas, et à laquelle se heurte toute sérieuse pensée, le poète, à ses heures meilleures, répond par croire, adorer sans comprendre, et surtout aimer. Je voudrais pouvoir citer tout entière la pièce intitulée Prière, qui joint à l’essor des plus belles harmonies une réalité et une intimité de sentimens tout-à-fait profonde. En voici du moins le motif et le début :

Ô Seigneur ! accordez à ceux qui vous blasphèment
La place à votre droite au sublime séjour ;
Donnez-leur tout, Seigneur, donnez : ceux qui vous aiment
Ont bien assez de leur amour !

Quand, aux portes du ciel par l’archange gardées,
Ils se présenteront, oh ! qu’ils entrent, mon Dieu !
De ces blasphémateurs aux ames attardées
Écartez le glaive de feu !

Nous resterons dehors, souffrant, loin de l’enceinte,
Et le froid de la nuit et la chaleur du jour ;
Ah ! du céleste abri bannissez-nous sans crainte :
Il nous suffit de notre amour !

Pour eux n’épargnez rien ; mettez à toute branche
Et l’ombre de la feuille, et la fleur, et le fruit,
Et l’ivresse à la coupe où leur lèvre se penche,
Sans la tristesse qui la suit !

Nous, pour être abreuvés d’ineffables délices,
Pour sentir sous vos mains nos cœurs se parfumer,
Nos ames s’abriter à des ombres propices,
Il nous suffit de vous aimer !…

Et tout ce qui suit et qui de plus en plus monte. Il faut peu de ces