caractères de l’Histoire de France. C’est une piquante nouveauté que cette réaction continuelle et réciproque des mœurs sur les évènemens, des principes sur la passion, de l’imprévu sur la logique. C’est le pêle-mêle de la vie. L’impression du lecteur à ce spectacle est l’agréable ébahissement du voyageur qui, traversant un pays inconnu, subit plusieurs sensations en même temps, et, s’il ne se rend pas bien compte de ce qu’il éprouve, est du moins vivement intéressé.
Nous nous étions promis, en commençant, de suivre dans toutes ses évolutions un esprit mobile, et souvent dissemblable à lui-même, afin de l’étudier sous ses aspects divers. Nous voudrions pouvoir résumer franchement nos impressions ; l’embarras que nous éprouvons à cet égard correspond à ces contrastes d’opinions que nous avons remarqués dans le public. Ce qui manque au talent de M. Michelet, c’est précisément un caractère net et décidé, un développement normal. Il s’est modifié continuellement, et il subit présentement encore une transformation dont on ne doit pas préjuger les résultats : ce talent n’est donc pas de ceux qu’on puisse définir d’un mot et classer régulièrement dans la hiérarchie des intelligences. Il y a en M. Michelet plusieurs personnes, sur lesquelles il faudrait se prononcer successivement : il y a le philosophe, le savant, l’écrivain, le poète, et enfin l’historien. Comme philosophe, le disciple de Vico semble avoir fait justice de lui-même en sacrifiant beaucoup moins, dans ses derniers volumes, aux doctrines décevantes qui ont faussé le premier essor de sa pensée. Considéré comme savant, l’historien de la France a été jugé trop sévèrement peut-être par ceux qui ont pour spécialité les recherches scientifiques ; son érudition, capricieuse et insuffisante sur plusieurs points importans, n’en est pas moins riche de vingt ans de lectures ; elle a éclairé abondamment certaines parties de nos annales, et surtout l’histoire morale des populations. En qualité d’écrivain, M. Michelet doit être rangé parmi les plus habiles, dans une époque dont la principale vertu littéraire est la contexture de la phrase et le maniement des mots. Quoiqu’il ait, au besoin, de l’ampleur et de la dignité, il s’affranchit sans scrupule de cette gravité officielle qui dégénère chez la plupart des narrateurs en une insupportable monotonie. Quelques passages de mauvais goût, quelques témérités grammaticales, disparaissent dans le grand nombre des pages remarquables. En général, M. Michelet est, dans son style, clair, alerte, varié, spirituel ; il excelle dans l’anecdote, et lance le trait avec une vivacité voltairienne. Si par poésie on entend la faculté de concevoir des types pour caractériser une époque, de faire revivre