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LA SOCIÉTÉ ANGLO-HINDOUE.

qu’inspirent aux Hindous les coutumes anglaises, proscrites par leur religion comme abominables et abjectes, ils ont pris à tâche de se rendre personnellement odieux à ce peuple qui, en définitive, jouit d’une plus ancienne civilisation et, sous beaucoup de rapports, d’un raffinement de mœurs, d’idées et de scrupules bien supérieurs à toutes les délicatesses dont l’Angleterre et l’Europe peuvent se faire gloire. La politesse exquise des Asiatiques de ces contrées peut seule les empêcher de faire éclater leur mépris, quand ils voient les Européens négliger certains soins de propreté, toucher aux viandes défendues, abandonner à leurs amis le bras de leurs femmes et de leurs filles pendant de longues promenades, danser pendant la canicule, crier ou chanter à table, et commettre mille autres abominations qu’un indigène ne se permettrait pas sans tomber dans la dernière déconsidération.

Il ne faut pas se tromper sur les rapports cordiaux, en apparence du moins, qu’ils entretiennent avec leurs amis les Anglais. Sans doute aucune manifestation extérieure ne trahit leur mécontentement et leur dédain ; mais il faut lire les publications manuscrites rédigées en langue persane et qui se répandent dans toutes les classes supérieures et lettrées de la Société hindoustanique, pour savoir ce que pensent de leurs maîtres ces hommes que l’on donne pour barbares. Dans ces journaux scandaleux (oukhbars), on écrit en toutes lettres les noms anglais de ceux auxquels on attribue des vices, des ridicules, des anecdotes souvent très comiques ; on y appelle un chat un chat, et comme on respecte peu la décence, le mot propre employé dans toute sa crudité ne permet pas de les traduire avec une fidélité qui passerait pour très brutale. Un de ces oukhbars, qui a paru à Delhi en 1838, parlait ainsi de la nomination d’un nouveau gouverneur : « Le sultan d’Angleterre et ses visirs, ayant été informés que le gouverneur-général est un imbécile qui dort toujours et ne fait pas les affaires de l’état, ont nommé à sa place un autre seigneur qui ne tardera pas à venir et qui sauvera le Bengale. » On trouve, dans un autre oukhbar, le tableau assez piquant d’une audience donnée aux indigènes par quelque magistrat anglais mal élevé : « Le gouverneur-général a montré bien peu de sagesse en choisissant M. *** pour magistrat suprême dans le canton de *** ; cet homme est gras, mais il est bête et d’un caractère très irascible ; il ne sait rien faire par lui-même, et il ne veut laisser personne agir à sa place. Hier, comme plusieurs nobles Hindous lui faisaient demander audience, il s’est montré à demi nu et leur a dit : — Eh bien ! que voulez-vous ? — Nous dési-