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maître entre le dauphin Charles et le fils du roi d’Angleterre, que le dernier roi, le fou Charles VI, a déclaré son héritier. Que le dauphin soit sacré le premier, et la nation aura un roi légitime autour duquel elle pourra se rallier. L’historien a dit son mot ; il va s’effacer pour faire place au poète. Sous le charme de son récit, on se représente le vieux Jacques d’Arc ébahi, épouvanté, en apprenant que Jeanne, la plus sage de ses filles, a la fantaisie de courir le pays au milieu des soudards. Mieux vaut pour lui la voir morte, et il déclare tout net que, si elle insiste, il la noiera de ses propres mains. Jeanne se retire muette et résignée, heureuse peut-être d’échapper par l’obéissance à la triste destinée qu’elle entrevoit. Mais, dans la solitude où elle aime à se réfugier, elle est de nouveau visitée par le bel archange et par ses deux saintes, qui lui rappellent « la pitié qu’il y a au royaume de France. » Pendant ce temps, le miracle a fait bruit : tout le village est en émoi ; les esprits forts blâment l’inspirée ; les ames tendres la plaignent. Il y a deux enfans, Haumette et Mengette, deux petites amies qui pleurent de chaudes larmes sur le malheur de Jeanne, et que Jeanne a grand regret d’affliger. Il y a aussi un jeune garçon, un voisin du même âge que la bergère, celui qu’elle appelait son mari dans les innocentes coquetteries du premier âge. Le voisin, en grandissant, n’a pas oublié cette douce parole, et pour lui elle vaut promesse : il ne veut pas laisser partir cette belle fille de dix-huit ans, à la taille élancée, au front pur, à la voix douce et onctueuse, et, dans son désespoir, il va jusqu’à l’assigner devant les juges ecclésiastiques.

Dieu a parlé : la France est aux abois ; il faut partir. Jeanne a gagné un de ses oncles, un pauvre charron, qui consent à la conduire chez le seigneur de Vaucouleurs. Elle n’ignore pas que le rude capitaine se propose de renvoyer à son père l’extravagante « bien souffletée. » Qu’importe une humiliation quand on marche au martyre ? Elle part avec son oncle, après avoir embrassé toutes ses amies et recommandé à Dieu la petite Mengette. Quant à Haumette, celle qu’elle aime le plus, elle craint de faiblir en la voyant pleurer, et préfère s’éloigner sans la voir. La paysanne « avec ses gros habits rouges » est bientôt en présence du sire de Baudricourt ; elle lui parle avec une fermeté qui l’étonne et le subjugue. Le routier a peu de foi en Dieu ; mais il craint le diable et soupçonne une diablerie ; il appelle son curé, qui procède à l’exorcisme. Celui-ci s’attendait également à quelque révolte du malin esprit ; il demeure confondu en voyant la jeune fille écouter les prières de l’église dans une