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nécessité, au XIVe siècle, de multiplier le revenu, d’activer la circulation, de mobiliser les valeurs amorties ; tentatives périlleuses à une époque d’inexpérience en matière économique ; fatalité qui explique, sans les justifier, les supercheries, les spoliations brutales, les crimes juridiques de Philippe-le-Bel et de ses successeurs.

Cette éclosion du système moderne ne fut pas instantanée ; elle occupa douloureusement le XIVe et le XVe siècle ; il y eut des tâtonnemens infinis, des réactions, des crises de désespoir, un effrayant conflit d’intérêts et de passions. La peinture de cette époque convenait au talent de M. Michelet, qui cherche avant tout l’agitation dramatique et les contrastes. Fidèle à son nouveau programme, l’artiste s’est résigné souvent au devoir modeste du rapporteur ; il a voulu prouver qu’il pouvait, comme un autre, épousseter et déchiffrer des parchemins, débrouiller une intrigue diplomatique, exposer le positif des affaires. Il a signalé, par exemple, l’intervention du génie mercantile sur la scène politique, surtout à l’occasion des guerres de Flandre et d’Angleterre. Son analyse des actes des états-généraux de 1357 est très judicieuse : elle projette une lumière certaine sur un personnage à la fois célèbre et méconnu, sur Étienne Marcel, ce tribun impatient, qui veut, dès le XIVe siècle, « substituer la république à la monarchie, donner le gouvernement au peuple, lorsqu’il n’y a pas encore de peuple. » Au quatrième volume, consacré au règne de Charles VI, la politique des maisons rivales d’Orléans et de Bourgogne, des Armagnacs et des Bourguignons, est supérieurement expliquée. L’ordonnance de 1413, non moins digne de remarque comme monument législatif que par la manière dont elle a été arrachée à la royauté au milieu d’une sanglante révolution, ce code administratif de la vieille France avait à peine été mentionné par les précédens historiens. M. Michelet lui a consacré un commentaire proportionné à son importance. Il serait juste de multiplier les exemples de ce genre, de signaler surtout des études fort intéressantes sur le rôle des parlemens, sur la réorganisation de la force publique après l’expulsion des Anglais, sur le régime des communes flamandes soumises au XVe siècle à la puissante maison de Bourgogne et introduites ainsi dans la sphère politique de la France. On sentira que des appréciations détaillées de ces divers travaux élargiraient démesurément notre cadre : il nous suffit d’avoir constaté les efforts de M. Michelet pour répondre aux exigences des esprits positifs.

Malgré les concessions faites aux publicistes et aux érudits, la faculté descriptive est toujours celle qui domine chez l’historien.