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HISTORIENS MODERNES DE LA FRANCE.

laissent prendre. Ainsi, M. Michelet, en conservant son originalité, a pu prendre sa place parmi les historiens sérieux et positifs, c’est-à-dire qu’il a eu l’honneur d’éclaircir à son tour quelques faits obscurs, et d’attacher son nom à certaines parties de notre histoire.

Nous ne pouvons indiquer que très sommairement les points historiques dont M. Michelet a renouvelé l’aspect. La méthode inaugurée avec le troisième volume convenait parfaitement à la peinture du XIVe siècle. Jamais la déchéance de la féodalité, la formation d’une souveraineté centrale, la lutte de l’homme de loi contre l’homme d’armes, n’avaient été dépeintes avec tant de vivacité et de pénétration. L’historien a fort bien exposé et suivi dans ses déductions le grand problème économique que Philippe-le-Bel eut à résoudre. « Le seigneur du moyen-âge payait ses serviteurs en terres, en produits de la terre : grands et petits, ils avaient place à sa table ; la solde, c’était le repas du jour. » Ainsi, chacun des vassaux, assuré d’une existence convenable et proportionnée à son grade dans la hiérarchie sociale, acquittait en retour une somme de services publics. En perdant leurs sujets et leurs priviléges ; les seigneurs furent affranchis des fonctions qu’ils devaient accomplir personnellement ou au moyen de leurs subordonnés ; ils rentrèrent peu à peu dans la classe des propriétaires indépendans. Or, à la place de ces officiers héréditaires, le gouvernement central se hâta d’instituer des fonctionnaires salariés et révocables. Les hommes du roi, revêtus de l’inviolabilité royale, prirent peu à peu possession des magistratures ; c’étaient des administrateurs civils qui introduisaient des règles uniformes, des juges qui prononçaient, non plus selon les us et coutumes, mais en vertu du droit divin et absolu dont le monarque était la personnification : l’armée cessa d’être la réunion des bandes féodales pour devenir une force homogène, régulière, nationale, et les seigneurs n’y servirent plus qu’en qualité de capitaines royaux. Qu’on se représente, au début de cette rénovation, l’embarras des hommes d’état pour équilibrer le budget et mettre le revenu du roi au niveau des charges. Il était juste de demander des contributions en argent à ceux qui étaient dispensés des œuvres. Ainsi prit naissance le système de fiscalité qui s’est développé jusqu’à nos jours. Ce sont ces changemens survenus dans la condition des officiers publics et dans la nature de leurs honoraires qui marquent le passage de l’âge féodal aux temps modernes. L’or, c’est-à-dire le travail accumulé, la fortune transmissible, devint à la lettre le nerf des affaires. Pour que les affaires ne languissent pas, il fallut aux gouvernans de l’or, et toujours et beaucoup. Il y eut donc