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goire VII, la fin tragique de Thomas Becket. À chaque instant, quelque surprise nouvelle, quelque morceau excitant ; une belle description ou un portrait hardi, un éclair poétique ou une anecdote malicieuse. Ce sont parfois des tableaux aux larges proportions et sérieusement étudiés, comme son récit de la première croisade, ou tout simplement quinze ou vingt lignes d’une fantaisie charmante, qui scintillent au milieu des pages comme ces vignettes exquises qu’on intercale dans les éditions de luxe. C’est plus qu’il n’en faut pour un succès populaire, et les applaudissemens bruyans sont aussi bien motivés que les protestations de quelques critiques.

Nous ne croyons pas nous tromper en plaçant M. Michelet lui-même au nombre des juges sévères. Déjà, à la fin de son deuxième volume, nous lisons une sorte de protestation contre les doctrines absolues auxquelles il a trop long-temps sacrifié. C’est au bruit des applaudissemens, en plein succès, qu’il entreprend de s’amender, et qu’il conçoit cette nouvelle méthode, à laquelle il déclare s’en tenir définitivement. Il en résulte qu’arrivé à la moitié de sa carrière, il commence un ouvrage nouveau, pour ainsi dire, par son ampleur et ses moyens de développement. Les deux premiers volumes avaient dépassé le règne de saint Louis ; les trois volumes publiés depuis embrassent moins de deux siècles (1270-1461), depuis la mort de saint Louis jusqu’à celle de Charles VII. Le nouveau programme de l’historien est magnifique : il ne se contente plus de moissonner dans les chroniques imprimées ou inédites ; il contrôle les faits en les rapprochant des actes officiels, il dépouille avec soin l’immense collection des Ordonnances des rois de France. Employé à la conservation des Archives du royaume, il a fait, assure-t-il, de cette nécropole des monumens nationaux la demeure favorite de sa pensée, et il interroge avec une curiosité superstitieuse les vénérables parchemins qui gardent les secrets des vieux âges. Il puise également aux sources extérieures, consulte les hommes spéciaux, entretient des correspondances lointaines, soumet aux savans anglais, belges ou allemands les passages où notre histoire se confond avec celle des nations étrangères. Voilà pour le fond. De même, quant à la forme, l’auteur se range. Plus d’excursions inutiles, plus de fantaisies compromettantes, semble-t-il nous dire. Ne nous effrayons pas trop de cette conversion : cette riche et pétulante imagination n’est pas si bien corrigée qu’elle ne se permette parfois quelques échappées. Si elle a réprimé le fol entrain de la jeunesse, qui ne plaît qu’aux étourdis, il lui reste cette coquetterie discrète et expérimentée à laquelle les plus rigides se