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sesseurs de l’Hindoustan, l’avaient entretenu dans ses idées de magnificence. Mais les Anglais, maîtres nouveaux de ce vieux monde, ne ressemblaient en rien à leurs sujets et à leurs prédécesseurs ; c’étaient la cupidité, l’habileté, l’économie, la persévérance, l’énergie, l’activité calculée, la sagacité européenne, qui recueillaient cet héritage asiatique. C’était un spectacle curieux de voir ces combinaisons mercantiles venir à bout d’un empire séculaire, et exploiter à leur profit le luxe, l’indolence, la magnificence, l’étourderie, l’héroïsme ; de voir toutes les qualités prosaïques et lucratives vaincre et fouler aux pieds les qualités poétiques et éclatantes. Ces négocians qui exploitaient l’Inde ne constituaient pas l’élite de la nation britannique. Ce n’étaient ni des passions généreuses, ni de nobles résistances qui fuyaient la patrie et cherchaient la liberté ; point de puritains comme en Amérique ; point d’ardeur aventureuse comme celle de Walter Raleigh ; l’argent, le bien-être, voilà tout ce que demandaient les Anglo-Hindous. Ils sont restés à peu près les mêmes. Encore aujourd’hui, ils ne font aucun effort pour attirer à eux les esprits des indigènes, pour fonder un empire, pour créer une civilisation. Cette civilisation s’opère malgré eux et non par eux. L’amalgame qui commence à jeter un peu de brahmanisme dans la vie européenne et teutonne n’est pas leur ouvrage, bien qu’ils en subissent la loi. Grossiers, indolens, apathiques, indifférens à tout, comme leurs pères, étrangers au perfectionnement social et à la crainte de l’opinion publique, ils ont cependant leurs Bentinck, leurs Elphinstone, leur major Tod, comme ils avaient naguère et autrefois leur Mackintosh, leur William Jones et leur Clive. Mais il suffit d’un petit nombre d’intelligences pour racheter un peuple ; les masses ont bien moins d’importance qu’on ne le croit. Elles ne mènent jamais, elles sont menées ; et quelles que soient la mauvaise conduite et la brutalité des colons, l’empire anglo-hindou, soutenu par la sagacité de quelques hommes, subsiste et sera fécond.

On ne peut pas dire que la haine des indigènes pour les Anglais se soit éteinte. Un des caractères singuliers de la race anglaise, c’est qu’elle a souvent le désir d’être désagréable hors de chez elle, comme si elle assurait ainsi son indépendance et sa dignité. Ses enfans sont passés maîtres dans l’art de déplaire, et personne n’inspire plus de répugnance aux peuples même qu’ils ont subjugués. Cette insolence et cet égotisme de la conduite, qui inspirent plus de haine que les grands crimes, se sont déployés fort à leur aise dans les rapports des Anglais avec les Hindous, race polie, douce, gracieuse, à la fois épique et élégiaque. Au lieu de vaincre par la courtoisie le dégoût