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HISTORIENS MODERNES DE LA FRANCE.

laire ; de l’autre, l’Austrasie barbare et aristocratique, supérieure en force parce qu’elle s’appuie sur l’Allemagne, où elle ne cesse de se recruter. L’Austrasie l’emporte enfin, et détermine un changement de dynastie en faveur de la grande famille des Pépins, qui, long-temps chefs du parti vainqueur, ont accoutumé les nobles eux-mêmes à l’obéissance.

M. Michelet semble avoir infligé à quelques-uns des grands hommes qu’il a rencontrés son système de nivellement. Plusieurs personnages qui se présentent d’ordinaire avec une ampleur et une fierté un peu théâtrales, Charles Martel, Charlemagne, Philippe-Auguste, saint Louis, sont capricieusement rapetissés. On nous a dit jusqu’ici que le bâtard de Pépin d’Héristal, quoique peu dévot, quoique spoliateur des biens ecclésiastiques, avait eu un instinct politique assez sûr pour se déclarer le champion des intérêts chrétiens. C’est lui qui ouvre par des victoires la Frise et la Saxe aux missionnaires catholiques. C’est pour avoir écrasé les mahométans dans les champs de Poitiers, qu’il reçoit le surnom de Marteau. Plus tard, il est nommé par le peuple romain patrice de Rome, et le pape Grégoire III lui envoie les clés du confessionnal de saint Pierre en signe de souveraineté temporelle. Malgré ces indices, M. Michelet a métamorphosé Charles Martel en païen. « Son nom païen de Marteau, dit-il, me ferait volontiers douter s’il était chrétien. On sait que le marteau est l’attribut de Thor, le signe de l’association païenne, celui de la propriété, de la conquête barbare. » Le grand duel des chrétiens et des mahométans où ceux-ci perdirent, selon les chroniques, trois cent soixante-quinze mille hommes, la fameuse bataille de Poitiers, n’obtient de M. Michelet que cette phrase presque dédaigneuse : « Une rencontre eut lieu près de Poitiers entre la rapide cavalerie de l’Afrique et les lourds bataillons des Franks. Les premiers, après avoir éprouvé qu’ils ne pouvaient rien contre un ennemi redoutable par sa force et sa masse, se retirèrent pendant la nuit. Quelle perte les Arabes purent-ils éprouver ? C’est ce qu’on ne saurait dire. »

Charlemagne est plus maltraité encore que son aïeul. C’est en vain que, pendant quarante ans, il promena sur l’Europe sa redoutable épée, qu’il anima cinquante-trois expéditions, présent, par son courage, absent, par l’ascendant de sa volonté : il ne trouve pas grace devant M. Michelet. L’historien commence par représenter tous les ennemis de la France dans un accablement qui laisse peu de mérite au vainqueur, et il ajoute : « Les soixante ans de guerre qui remplissent les règnes de Pépin et de Charlemagne, offrent peu de victoires,