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HISTORIENS MODERNES DE LA FRANCE.

gligeant celui dont ils n’aperçoivent pas encore l’importance relative. Voilà pourquoi ces grands monumens ont toujours manqué jusqu’ici d’unité, d’ordonnance et de proportion.

La première section de l’Histoire de France parut à la fin de 1833. L’auteur, dans son préambule, annonçait cinq volumes, et ajoutait « Au premier, les races ; au second, les provinces ; au troisième, les institutions ; aux deux derniers, les progrès de la nationalité française. » Le cinquième volume vient d’être publié, et il aboutit seulement à la moitié du XVe siècle ; sept autres volumes sont nécessaires pour conduire le lecteur jusqu’à la chute du gouvernement impérial. C’est que, chemin faisant, l’auteur a changé de plan et de méthode. À ses premiers pas, il subissait encore le joug de ce philosophisme trompeur que nous avons combattu ; il visait à l’idéalisation plutôt qu’à la précision scientifique. Avec le troisième volume commence, pour ainsi dire, un nouvel ouvrage. Le cadre du résumé scientifique s’élargit et prend les dimensions convenables à une histoire sérieusement étudiée. Un changement non moins remarquable s’opère dans le talent de l’écrivain ; il se fait, comme on dit des peintres, une manière nouvelle, plus solide, plus féconde, que la première ; au lieu de réaliser un idéal qu’il a conçu à l’avance, il cherche l’éternel problème de l’art, qui est d’idéaliser le réel, de sorte que, sans rien perdre de son originalité saisissante, il tend à conquérir l’autorité que lui contestaient les esprits sévères. Cette révolution très heureuse, que nous aimons à constater, a néanmoins l’inconvénient de mettre en désaccord le commencement et la fin de l’ouvrage ; elle nous absout des critiques qui tomberont trop souvent sur les deux premiers volumes, et légitime notre préférence pour les volumes suivans.

Un savant du dernier siècle a dit : « Avec un mot on fait une erreur, et il faut un volume pour la détruire. » À ce compte, il faudrait une bibliothèque pour réfuter tout ce qu’il y a nécessairement de mots hasardés, d’assertions malsonnantes, dans ces histoires complètes qui englobent indistinctement tous les ordres de faits, incidens politiques, institutions, idées, doctrines, influences physiques, caprices de mœurs. Dans un ensemble aussi compliqué, les petites erreurs de détail sont inévitables ; elles ne prouvent rien contre l’auteur, et il serait puéril de les relever. L’examen doit porter seulement sur les principes, les points saillans et l’effet général.

Le début de l’Histoire de France est vif et saisissant. Le poète, on peut appliquer ce titre à M. Michelet, excelle à idéaliser une race, et à en dessiner le type en justifiant sa création par des notes habilement