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eu ce souffle inspiré, cette puissance d’incantation qui est nécessaire pour évoquer le génie des vieux âges. Marier l’art et la science, élever dans un noble récit la critique jusqu’à la poésie, n’était-ce pas un de ces plans qui exaltent tout d’abord les natures généreuses ? M. Michelet se lança héroïquement dans l’entreprise. Sa préface est un fier manifeste : « Les quatre premiers siècles de Rome, dit-il, n’occuperont pas dans mon livre deux cents pages. Pour cette période, l’Italie (c’est-à-dire Vico) a donné l’idée ; l’Allemagne (personnifiée en Niebuhr), la sève et la vie. Que reste-t-il à la France ? La méthode peut-être et l’exposition. Pour les deux siècles qui s’écoulent depuis la seconde guerre punique jusqu’à la fin de la république, tout est à faire. » Ainsi, M. Michelet promet le mot définitif de la vieille polémique relative aux temps incertains, et le premier mot de l’histoire positive, dont les élémens, assez abondans, ont été incompris jusqu’à lui.

En citant seulement, comme précurseurs du sceptique Niebuhr, le Suisse Glareanus, le Hollandais Perizonius, le Français Beaufort et Vico l’universel, M. Michelet pourrait faire croire que ces critiques ont seuls mis en doute la première période des annales romaines. Il est probable que les plus dévots admirateurs des anciens n’ont pas accepté comme articles de foi les prodiges et les impossibilités embellis par Tive-Live. À Rome même, au temps d’Auguste, l’origine de la ville était matière à discussion parmi les érudits ; chacun d’eux poussait son héros en dépit de Romulus, le fondateur officiel. Pour les modernes, il reste donc seulement à établir quel degré de confiance doit être accordé aux documens qui concernent les temps écoulés jusqu’à l’incendie de Rome par les Gaulois. Le problème ramené à ces termes a été débattu, à plusieurs reprises, notamment, du temps de Gérard Vossius, dans les universités hollandaises, et, au siècle dernier, dans notre Académie des Inscriptions. Les uns ont soutenu avec assez de vraisemblance que les Romains ont pu conserver les élémens d’une histoire nationale, malgré la subversion de leur ville ; d’autres ont affirmé que la chaîne des traditions a été rompue sans ressources, et que la première partie des annales de Tite-Live n’est qu’un roman, agencé de manière à flatter l’orgueil du peuple-roi. De nos jours, Niebuhr a renouvelé et fait prévaloir cette seconde thèse, qui le débarrassait des entraves de la lettre écrite et ouvrait carrière à son imagination aventureuse. L’originalité de l’historien allemand consiste à dire que Tite-Live a recueilli et paraphrasé d’anciens chants héroïques ; poésies primitives, conser-