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et altérée, des taches vertes et des oasis brillantes apparaître tout à coup, tant est rapide cette végétation qui se développe à l’œil nu. Je me souviens que l’une de ces tempêtes, incroyables pour qui ne les a pas vues, emporta devant moi le toit d’un édifice ; heureusement ce n’était que le toit de la cuisine. Chef et marmitons s’élancèrent, saisirent avec autant de sang-froid et de vigueur que d’adresse les quatre bambous qui volaient avec le toit, suivirent, emportant ainsi leur toit dérobé, la course impétueuse que lui imprimait l’ouragan, et finirent, quand la crise fut passée, par replacer tranquillement les piliers à leurs vieilles places, aux quatre coins des murailles qu’ils avaient abandonnés. »

Le règne végétal ne fait pas éclater une moindre magnificence, et les plantes parasites elles-mêmes, gigantesques accessoires enlaçant tous les arbres comme autant de boas constrictors, suspendent aux vieux troncs des festons si énormes, que vous diriez des paniers de fleurs qui se balancent au gré du vent. Sous ces ombrages épais voltigent les vautours, s’endorment les tigres et rôdent les chakals par bandes nombreuses. Ces agens de destruction ne permettent pas aux débris de s’accumuler, et hâtent le renouvellement universel en absorbant et en dévorant tous les êtres que la mort a frappés. À peine le daim, le taureau ou le buffle sont-ils tombés sous la dent du tigre, plus de cinq cents vautours et autant de chakals et de loups s’attroupent autour de la proie, et attendent que le maître ait fait son repas.

On ne peut s’étonner que des races placées ainsi dans le désordre même de la fécondité exubérante aient essayé de diviniser le sentiment de l’ordre et de se donner une politique durable en établissant la sévérité des castes. Quant aux arts, chez un tel peuple, ils ne pouvaient être que l’imitation des grandeurs et des forces démesurées qui l’environnent et le bercent. La philosophie elle-même ne pouvait se montrer que comme le reflet de ces forces adorées. Dans une succession si rapide de causes et d’effets, de naissances qui creusent le tombeau et de tombes qui renferment la vie, cette vie comme cette mort devaient paraître illusion. De là le système de la Maya, de l’illusion universelle, le plus grand scepticisme, le plus grand mysticisme et le plus effrayant panthéisme que l’homme ait jamais rêvé, car il réunit la triple tendance.

« Il n’existe rien de réel, dit le Bhagavat, traduit par William Jones, que la première cause, Dieu. Le reste ne fait que paraître et disparaître dans l’esprit, et n’est qu’illusion ! — Moi seul, s’écrie dans