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universelle, quelques portraits dont le plus saillant est celui de Zénobie, la fameuse reine de Palmyre. Déjà, à cette époque, le retentissement des leçons de M. Guizot, les belles compositions, la vive polémique de M. Augustin Thierry, rendaient indispensable la refonte des niaises compilations historiques qu’on mettait dans les mains des écoliers. Les professeurs les plus distingués se partagèrent la tâche, avec l’assentiment du monde universitaire. Une des sections de ce travail échut de droit à M. Michelet. « Présenter à l’enfance une suite d’images, à l’homme mûr une chaîne d’idées, » tel est le programme annoncé et accompli dans le Précis de l’Histoire moderne, qui parut en 1827, et qui compte aujourd’hui six éditions. On remarqua dans cet excellent résumé une judicieuse distribution des faits, un savoir assez exact, de la pénétration, et dans certains tableaux une recherche de coloris en contraste avec la pâleur ordinaire des livres scolastiques. Mais les applaudissemens de la discrète population des colléges sont peu de chose pour l’amour-propre. Qui sait, de nos jours, se passer des acclamations de la foule et des fanfares de la publicité ? Nous allons donc voir M. Michelet, âgé d’un peu moins de trente ans, entrer fièrement dans la carrière historique, en agitant sa bannière armoriée de symboles, et reconnaissable à ses tranchantes couleurs.

Dans les arts, la véritable originalité est celle qui s’ignore elle-même. Quand, pour faire preuve de force et d’indépendance, on cherche systématiquement une voie nouvelle, il est rare qu’on ne s’égare pas, et que des qualités poussées à l’exagération ne deviennent pas des défauts. Nous aurions peine à croire que M. Michelet, à ses débuts, n’eût pas été un peu trop préoccupé du désir de se faire une place distincte parmi nos historiens. M. de Sismondi avait pris à tâche l’exhumation laborieuse et la distribution méthodique des faits. M. Guizot avait ranimé la lettre morte de nos anciennes lois, et retracé de main de maître le mouvement de la civilisation moderne. L’ingénieuse restauration du passé, l’éclatante mise en scène, avaient fait la gloire de M. Thierry, et les principales places étaient prises dans l’école pittoresque. Quant aux travaux de pure érudition, il n’y a pas pour eux de popularité chez nous. Habitué par ses études métaphysiques à la généralisation des idées, M. Michelet se voua à l’histoire philosophique, non pas à la manière du XVIIIe siècle, qui cherchait avant tout des prétextes de déclamations morales, mais avec la prétention, trop commune de nos jours, de donner raison de tous les actes humains, d’exposer dogmatiquement le mystérieux enchaî-