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HISTORIENS MODERNES DE LA FRANCE.

lecteurs la responsabilité de son propre jugement. Ainsi tâcherons-nous de faire à l’égard de M. Michelet.

Un procédé qui donne autant de charme que de vérité aux portraits littéraires, consiste à expliquer l’œuvre intellectuelle par la biographie, la vie idéale par les incidens de la vie pratique. Ce genre de commentaire n’est pas applicable à l’historien que nous essayons de faire connaître : sa vie entière paraît avoir été vouée aux silencieuses études. Par une exception dont il faut le féliciter, il ne s’est point armé de son talent pour descendre dans l’arène politique. Ses tendances et ses sympathies ne se sont formellement révélées qu’en 1830, par quelques phrases retentissantes, en harmonie avec les sentimens qui triomphèrent à cette époque. Nous nous représentons donc M. Michelet comme un écrivain vigilant et passionné, infatigable à la recherche des idées et des faits, renouvelant chaque jour son enthousiasme par l’excitation du travail, ne suspendant l’œuvre commencée que pour écouter le bruit que fait dans le monde la dernière œuvre : noble et dévorante existence, existence de poète, qui serait pour M. Michelet une suffisante excuse, si par hasard il avait du poète les illusions et l’irritabilité proverbiale. Quant à sa biographie positive, c’est la posséder complètement que de connaître la série de ses publications, la succession de ses services universitaires et des grades scientifiques qui en ont été la juste récompense. M. Jules Michelet est né à Paris en 1798, et y a fait ses études avec distinction. Il est probable qu’il ne quitta les bancs que pour paraître dans la chaire, puisqu’à dix-neuf ans il remplissait les fonctions de professeur, déjà préparé, nous dit-il lui-même, à enseigner successivement, et souvent à la fois, la philosophie, l’histoire et les langues. En 1821, il entra dans l’Université par la voie des concours, et, après quelques années d’exercice dans les colléges royaux, il prit rang parmi cette élite de professeurs qui représente chez nous le haut enseignement.

Le noviciat littéraire de M. Michelet fut sans doute grave et laborieux. La liste de ses premiers essais, demeurés inédits, nous le montre inquiet de sa vocation, flottant de la philosophie à l’histoire. À des traductions de Reid et de Dugald Stewart succède une étude sur les langues, dont le jeune philologue prétend faire sortir une histoire de la civilisation. En 1824, date que M. Michelet désigne comme celle des travaux sérieux et suivis, il entreprend de « ramener à l’unité toutes les sciences qui font l’objet de l’enseignement public, » et il se délasse de ses méditations pédagogiques, en crayonnant, pour la Biographie