Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/19

Cette page a été validée par deux contributeurs.
15
LA SOCIÉTÉ ANGLO-HINDOUE.

entr’ouverte, comme la balle que fait jaillir la détente d’un ressort ; vous voyez le nylghau fendre l’air comme s’il avait des ailes, le héron gigantesque s’avancer à grands pas vers les rives du fleuve, le canard brahmanique suivre la même route en caquetant, et d’innombrables renards bleus, des civettes à la queue superbe et des troupes d’écureuils agiles occuper tous les replis du sol, des arbres, des édifices, des cavernes et des rivages. Les forêts vierges de l’Amérique n’offrent rien de semblable à cette puissance et à cette fécondité vitale.

L’influence de ces causes physiques sur le caractère, les mœurs, les idées, sur la naissance et la systématisation des religions et des arts, ne peut être douteuse. « Il y a des situations et des époques, dit miss Emma Roberts, où les paunkahs, vastes éventails toujours en mouvement, les pourdhas ou rideaux épais attachés devant les portes, les tatties ou tissus de jonc mouillé suspendus aux fenêtres, ne rendent pas l’atmosphère supportable. L’intérieur d’un gazomètre est moins ardent ; dès que vous sortez, vous vous sentez épuisé, vos membres défaillent, et la morsure de ce vent terrible écorche votre peau qui s’enlève. Chaque meuble brûle la main. Le bois le plus dur craque et éclate avec la détonation d’un pistolet, et le linge que l’on tire de l’armoire paraît avoir été placé devant un grand brasier. Toutes les chambres ressemblent à des fours que l’on aurait trop chauffés. Vous voyez les oiseaux se traîner l’aile basse, le bec entr’ouvert, les chats persans enlacer de leur souple corps les cruches d’eau déposées dans les chambres de bain, ou, s’étendant sur le gazon humide au pied des tatties, recevoir avec délices une part des libations nombreuses qui tombent sur ces nattes, et quelquefois, quand il leur a pris envie de s’aventurer dehors, revenir l’œil hagard et tout effarouchés de l’accueil ardent qu’ils ont reçu. Le déluge qui succède ordinairement à cette effroyable ardeur n’est ni moins redoutable, ni moins gigantesque dans ses formes et son approche. Il s’annonce d’abord par l’arrivée lente, progressive et solennelle d’une muraille noire qui se dresse à l’extrémité de l’horizon, et qui, toujours grandissant et s’élevant, finit par placer un rempart invincible entre le soleil et l’homme ; c’est le sable accumulé par le vent, et qui s’élève à une hauteur prodigieuse. À travers ce rempart, on ne distingue pas l’éclair, mais on entend les rugissemens prolongés du tonnerre jusqu’au moment où les écluses du ciel, étant lâchées, inondent le pays. Bientôt on n’aperçoit plus qu’une nappe d’eau, et l’observateur, du toit de sa masure, peut voir, avant même que ces lacs, subitement versés sur le sol, aient pénétré les profondes crevasses de la terre béante