Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/186

Cette page a été validée par deux contributeurs.
182
REVUE DES DEUX MONDES.

beaucoup mieux, nous indiqua par signe, en montrant ses jambes nues, que les chiens des Turcomans, qui aboyaient à l’entour, pourraient bien manger les nôtres. Cet avis ayant été compris, il s’assit sur ses talons et se mit à fumer.

Notre petite troupe nous rejoignit enfin, et nous eûmes bientôt rencontré un autre poste militaire ; mais, là même, nous n’étions pas encore très bien édifiés sur la situation de Sardes : les uns disaient que Sart était à une portée de pistolet, les autres à deux heures de chemin. On finit par parler d’un moulin où nous pourrions passer la nuit. Sur cette indication, nous remontâmes à cheval, et, après avoir franchi plusieurs gués et nous être fait refuser un gîte par les Turcomans comme par les Tartares, nous arrivâmes au moulin. Le hasard et notre persévérance nous avaient bien servis : nous étions au-dessous de l’acropole de l’ancienne capitale de la Lydie.

Ce moulin appartenait à deux Grecs ; l’un d’eux, qui dormait en plein air sur une natte, comme n’avait peut-être jamais dormi son prédécesseur Crésus, trouvait assez désagréable d’être réveillé dans son premier somme par des passans qui venaient, à dix heures du soir, frapper à la porte de son moulin, peu exposé, par sa situation, à de pareilles visites. Il n’était point en humeur de nous loger, mais Marchand se fâcha, et lui dit avec une gravité et une conviction vraiment comiques : Comment oses-tu faire difficulté de loger pour leur argent ces illustres étrangers ? Encore si tu étais un Turc, je comprendrais tes refus ; mais un Grec ! un raya ! un Grec, répétait-il avec indignation. Notre hôte sentit, à ce qu’il paraît, la justesse de l’argument, car il finit par nous autoriser à prendre possession d’une chambre où son frère, plus humain que lui, ou peut-être plus pénétré des devoirs des rayas envers les illustres étrangers porteurs d’un bouiourdi, nous avait déjà introduits. Bientôt fut allumé un feu dont nous avions tous grand besoin, car nous étions au milieu des marais, et je n’ai jamais entendu croasser tant de grenouilles à la fois. Une distribution générale de cigares, objet inconnu dans ces contrées barbares, acheva de mettre tout le monde en bonne humeur. Pour nous, nous étions enchantés d’avoir ainsi mené à fin notre expédition, et de toucher au but que nous avions presque désespéré d’atteindre.

Le lendemain matin, en nous levant, nous vîmes avec une grande joie que notre moulin était tout juste au pied de la montagne à pic sur laquelle s’élèvent les murs de l’acropole de Sardes. Nous commençâmes par chercher un chemin pour y arriver. La chose semblait impossible. Jamais citadelle ne fut mieux défendue par la nature