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transmettre quelques phrases, il discourait en notre nom pendant un quart d’heure.

Le lendemain, pourvus d’un nouveau cheval, nous nous mîmes en route pour Berghir, village situé au pied du Tmolus. Cette journée, pendant laquelle nous voyageâmes constamment en plaine, n’offrit rien de remarquable qu’un horizon toujours à souhait pour le plaisir des yeux, comme disait Fénelon. Après avoir passé par un village où nous vîmes un platane qui avait environ quarante pieds de tour, nous traversâmes la petite ville de Baïndir, qui nous parut animée par un commerce assez actif et surtout remplie de teinturiers. Nous arrivâmes vers quatre heures à Berghir. Ici le pays changeait complètement d’aspect aux approches de la montagne, et prenait quelque chose de la Suisse ; mais jamais torrent de la Suisse n’a reçu une étincelle de cette fournaise, qui réfléchissait ses flammes pourprées dans le ruisseau de Berghir. Nous eûmes dans ce village toute la maison d’un Grec à notre disposition. Les femmes n’étaient pas voilées, mais se tenaient à l’écart et évitaient de montrer leur visage. Deux choses me frappèrent dans cette maison. J’y trouvai un livre imprimé en caractères grecs. Je l’ouvris, et ne pus en comprendre une parole. Je m’aperçus bientôt que ce grec était du turc. C’était une traduction turque des psaumes imprimée en lettres grecques. Y a-t-il donc des Grecs qui parlent le turc et ne le lisent pas ? ou bien plutôt n’est-ce pas une pieuse ruse des missionnaires pour répandre dans le pays soumis aux Osmanlis une version turque des livres saints, sans attirer l’attention, et sans causer aux croyans le déplaisir de voir la langue de Mahomet employée à traduire la Bible ? L’autre curiosité était un dessin grossièrement charbonné sur le mur et représentant deux vaisseaux. À la proue de l’un d’eux, un homme armé d’un grand sabre faisait feu sur un tout petit navire. Celui-ci était monté par des Turcs. Au-dessus de l’autre était écrit Mayna, le Magne. Dans cette reproduction grossière du triomphe d’un corsaire maïnote écrasant ainsi de sa supériorité un bâtiment turc, il y avait un sentiment de sympathie évident pour les vieilles luttes du Magne contre la Porte. J’éprouvai une certaine émotion à trouver cette sympathie ainsi exprimée au cœur de la Turquie. Il me semblait y lire une protestation et une menace des rayas d’Asie contre le joug de leur maître.

Restait à franchir le Tmolus et à chercher de l’autre côté Sardes, dont le nom subsiste à peine altéré dans Sart, mais sur la position de laquelle les rapports variaient, parce qu’il ne reste ni ville ni village dans l’emplacement où fut la capitale de Crésus. Après avoir monté pendant trois heures par des sentiers très escarpés, nous atteignîmes