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UNE COURSE DANS L’ASIE MINEURE.

raisins, dont elle exporte chaque année pour plusieurs millions. Ce sont les vignobles du Tmolus dont parle Ovide : Vineta Timoli.

Aux abords de Tireh, une véritable route remplaça les sentiers tortueux que nous avions suivis depuis Éphèse. Des champs cultivés, des vergers, des maisons de campagne, annonçaient une ville de quelque importance. Nous atteignîmes les premières maisons de Tireh à une heure extrêmement favorable. Le soleil, près de se coucher derrière nous, frappait de la plus vive lumière un ensemble radieux de minarets blanchissans parmi les cyprès, de maisons diversement colorées, semées au milieu de beaux jardins sur le flanc verdoyant de la montagne et dans la fertile plaine qui se déroule au pied. Toutes les figures étaient fortement caractérisées, tous les costumes étaient pittoresques, et resplendissaient dans une atmosphère lumineuse. Le chef de la police, homme à mauvaise figure, qui portait presque seul l’ignoble fez au lieu du majestueux turban, nous indiqua un khan, espèce d’auberge, placé dans une situation ravissante, tout neuf et très propre, et dans lequel nous trouvâmes des divans et des tapis. Toutes les chambres donnaient sur une grande galerie ouverte, semblable à ce que les Italiens nomment une loge. Nous n’avions pas les arabesques de Raphaël, mais l’horizon qui s’offrait à nous ne le cède pas à celui que l’on contemple des Loges du Vatican. À peine installés, nous courûmes bien vite pour profiter des dernières clartés du jour, et copier une inscription que nous avions aperçue sur un tombeau romain converti en fontaine. Il va sans dire que notre opération archéologique s’exécuta au milieu d’un public nombreux et attentif ; les figures brunes et noires s’avançaient, se penchaient autour de nous avec étonnement et curiosité. En général, nul autre sentiment ne se mêlait à ceux-là ; une vieille femme seule nous prouva que la haine et la crainte des Francs, tous sorciers, n’étaient pas encore une tradition entièrement perdue. Nous la vîmes s’avancer avec quelque précaution, s’armer d’une pierre, non pour la lancer contre nous, mais à tout hasard, comme instrument de défense, ainsi que nous faisions nous-mêmes quand nous avions à passer devant les chiens très inhospitaliers de l’Orient. La bonne femme, ainsi armée et pourvue, s’avança vers le groupe qui nous entourait, vint y saisir un garçon d’environ seize ans, et l’emmena jusqu’à sa maison, qui était près de là, lui parlant d’un air fort irrité et accompagnant même ses remontrances maternelles de quelques tapes bien appliquées. Le jeune homme, un peu esprit fort, riait en cédant et se retournait vers les bêtes curieuses ; mais la mère