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UNE COURSE DANS L’ASIE MINEURE.

des premières arcades est une inscription assez longue, en partie grecque et en partie latine, par laquelle on apprend que Caïus Sextilius, fils de Publius, de la gens Ouotoneia (pour Votinia), a élevé à ses frais ce monument, et l’a dédié à la Diane d’Éphèse et à l’empereur Tibère[1].

Mon compagnon de voyage parvint à la lire avec assez de peine en grimpant sur les pentes de la montagne et même dans les arbres. Ainsi perché, il me dictait l’inscription, puis il descendit pour prendre un croquis de ce charmant point de vue. Pendant ce temps, assis sur une pierre, je ne me lassais pas de contempler le paysage. Quand on a un peu voyagé, on ne s’émeut pas pour le premier site venu, on devient difficile en fait de pittoresque. Mais ici tout était ravissant. La vue était admirablement composée. Par-dessous l’arche du milieu, on apercevait la montagne d’Éphèse dans une teinte violette, et au-dessus des deux murs verdoyans qui s’élevaient à notre gauche et à notre droite, l’azur velouté d’un vrai ciel d’Ionie ; une lumière dorée se glissait obliquement à travers les branches des platanes, des myrtes, des lauriers, des caroubiers, et venait éclairer les cintres supérieurs de l’aqueduc dont le pied plongeait dans l’ombre. Tout était assorti dans une délectable harmonie. De pareils spectacles sont les meilleurs commentaires de la poésie antique. L’impression que je recevais dans cette gorge perdue entre Éphèse et Magnésie, c’était l’impression que procurent, quand on a su les goûter, les chefs-d’œuvre de cette poésie dont on ne peut avoir un sentiment complet que sous le ciel qui l’a inspirée : cette poésie paraît alors la patrie naturelle de l’imagination, qui n’en veut plus sortir et devient presque insensible à tout autre genre de beauté. Ainsi, après avoir goûté le lotos, « on ne pouvait plus sortir du pays qui produisait ce fruit doux comme du miel, mais on voulait s’en nourrir éternellement, oublieux du retour. »

Τῶν δ’ὅστις λωτοῖο φάγοι μελινδέα ϰαρπὸν,
Οὐϰ ἔτ’ἀπαγγεῖλαι πάλιν ἤθελεν, οὔδε νεέσθαι.
Ἀλλ’αὐτοῦ βούλοντο μετ’ἄνδράσι λωτοφάγοισι
Λωτὸν ἐρεπτόμενοι μενέμεν, νόστου τε λαθέσθαι.

Pardon pour ce grec, mais depuis trois mois je vis avec Homère et avec les autres divins poètes qui ont écrit dans

Ce langage aux douceurs souveraines,
Le plus beau qui soit né sur les lèvres humaines,

  1. M. Ph. Lebas a publié cette inscription.