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UNE COURSE DANS L’ASIE MINEURE.

que sectateurs d’Ali, n’en sont pas moins de bons musulmans, et ne pouvaient consentir à donner l’hospitalité dans leur harem. Leur réponse ouie, nous nous séparâmes en très bonne intelligence, résignés à aller chercher le soir, dans le village le plus prochain, un gîte plus confortable que la tente des Tartares, mais moins poétique.

Nous commençâmes à parcourir et à examiner les ruines de Magnésie : les plus intéressantes sont celles du temple d’Artémis Leucophryné, ce qui veut dire, selon Arundell, Diane aux sourcils blancs. Mais je ne puis croire que les Grecs, toujours si soigneux d’éviter le laid et le bizarre, aient jamais représenté une déesse avec des sourcils blancs ; il faut sans doute traduire au front blanc. Un passage de Strabon me confirme dans cette pensée. Il nous apprend (liv. XIII) que l’île de Ténédos a porté le nom de Leucophryné. Or, on peut, à la rigueur, avoir donné un front à une île, mais des sourcils, difficilement. « Dans la ville actuelle, dit Strabon (liv. XIV, § 40), est le temple d’Artémis Leucophryné. Pour la grandeur de l’édifice et pour le nombre des offrandes, il le cède à celui d’Éphèse ; mais, pour l’harmonie et la beauté de l’architecture, il lui est bien supérieur : il surpasse en grandeur tous les temples de l’Asie, deux exceptés, celui d’Éphèse et celui de Didyme. »

De ce temple, il ne reste pas une colonne debout, mais les fragmens sont considérables, d’une grande beauté et d’un grand intérêt. Sur des parties de frise bien conservées, on voit des combats de guerriers et d’amazones d’une époque antérieure à celle du Parthénon. Les fûts des colonnes, les architraves, les chapiteaux, offrent des détails curieux ; il n’est pas deux de ces colonnes qui soient semblables ; les bases, les chapiteaux, ont des ornemens différens. Ces ruines sont importantes. On conçoit facilement combien il est utile d’étudier l’histoire de l’architecture ionique en Ionie.

Le temple est renfermé dans une immense enceinte dont la destination n’est pas facile à deviner, et qui est contiguë à une enceinte moins considérable. Dans celle-ci, on voit des espèces de voûtes et d’arcades fort singulières. Si l’on sort de la grande enceinte, on trouve la place et la forme du théâtre, qui s’appuyait au mont Thorax, comme celui d’Éphèse au mont Préon, le stade touchant au théâtre, et une foule de tombeaux ; un monument isolé s’élève dans la plaine, au milieu des marais ; un autre monument est construit avec d’énormes pierres sur trois rangs.

Tout cet ensemble de débris, dans une parfaite solitude, est d’un très grand aspect. Il est malheureux que l’humidité répande une