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donc pu déraciner du cœur de ce Grec l’amour de la patrie. C’est encore aujourd’hui le meilleur sentiment que j’aie trouvé chez ses compatriotes. J’ai rapporté de mon voyage la conviction qu’il y a en Grèce un sincère amour du pays, un vif sentiment de nationalité ; avec cela et le désir universel de l’instruction, qui est un autre trait du caractère grec, on peut raisonnablement attendre beaucoup de l’avenir.

Il n’y a dans la plaine de Magnésie ni ville, ni village, ni hameau, pas même un café. Le seul monument moderne est une petite église qui a été changée en mosquée. Ce lieu n’est habité que par des nomades, qui placent leurs tentes sur les croupes inférieures des montagnes, et font paître leurs troupeaux dans la plaine. Les uns sont des Turcomans comme ceux que nous avions rencontrés le jour où nous avions quitté Smyrne, et que nous devions trouver dans toutes les plaines jusqu’à notre retour. Ces Turcomans ont des tentes noires formant un carré long et présentant à peu près la configuration d’une cabane. Les autres sont des Tartares (Tatardji), dont les tentes, différentes de celles des Turcomans, sont grises et de forme circulaire. Ne voyant nul gîte à une lieue à la ronde, il nous prit envie de demander, pour une nuit, l’hospitalité aux Tartares. Nous fîmes part de notre projet à Marchand, qui fut consterné. — Quoi ! nous disait-il, vous voulez coucher chez ces gens-là ; mais ce ne sont point des Turcs, ce sont des Tartares : ils ne croient pas à Mahomet, mais à Ali. — Trop bons chrétiens pour être bien scandalisés par l’hérésie que Marchand prêtait aux pauvres Tartares, nous persistâmes dans notre résolution, et lui dîmes de venir avec nous pour nous servir d’interprète. Il le fit très à contre-cœur. La scène était à dessiner : la petite horde, composée d’une vingtaine de personnes, était assise au-dessus de nous, sur la pente de la montagne ; à notre approche, on fit retirer les femmes, et nous nous trouvâmes en face du chef, vieillard à belle et honnête figure. Parmi les autres hommes de la famille, quelques-uns portaient la marque de leur origine tartare, surtout dans l’obliquité des yeux ; plusieurs tenaient de grands fusils droits sur leurs genoux, comme par contenance. De mon côté, je mettais en évidence mes formidables pistolets de poche. Ainsi sur nos gardes des deux parts, nous nous fîmes des signes d’amitié, et, pour entamer la conversation, nous demandâmes à ces braves gens de nous vendre un agneau ; ils n’avaient que des chèvres. Nous fîmes ensuite notre proposition, qui ne fut point agréée, probablement à cause des femmes ; car les Tartares, bien