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conservées. Sous l’une d’elles est une construction cyclopéenne, reste d’un âge beaucoup plus ancien, avec une porte semblable à celle du souterrain de Tirinthe. Tandis que nous contemplions d’en bas l’hémicycle du théâtre, il était rempli par un troupeau de chèvres noires ; un petit chevrier turc sifflait assis sur un débris ; une immense volée de corneilles décrivait de longs circuits dans les airs. Vers la montagne, le ciel était pluvieux et grisâtre, et d’un éclatant azur du côté de la mer. Sur des nuages cuivrés passaient des nuages blancs comme des spectres ; par momens, leur lueur à la fois claire et pâle illuminait les ruines immenses, les cimes sévères, la plaine déserte. Je n’ai rien vu de plus sublime ; la campagne romaine elle-même ne m’a jamais apparu plus grande et plus triste.

En regard des ruines de la ville antique d’Éphèse sont les ruines de la ville moderne d’Aia-Soluk ; elles complètent l’effet mélancolique du paysage. J’errai long-temps sur la montagne où fut cette ville : j’allais de mosquée en mosquée ; j’entrais par le toit dans des bains abandonnés : je parcourais ensuite l’enceinte du château-fort, et je regardais à travers une porte de cette enceinte la campagne d’Éphèse et la mer. Au milieu de cette mort qui m’entourait, j’admirais la vigueur de la végétation orientale. Un fragment de mur en briques, qui pouvait peser cinquante milliers, avait été mis sur champ par quelques-unes de ces commotions du sol fréquentes dans l’Asie mineure. Un figuier avait plongé ses racines entre les briques verticales, et ces racines étaient allées chercher la terre à une distance de plus de six pieds. Enfin j’arrivai à une assez grande mosquée, construite en marbre noir et blanc comme la cathédrale de Pise. Les chambranles des fenêtres étaient travaillés à jour dans le goût moresque. À l’intérieur s’élevaient de magnifiques colonnes de granit africain semblables à celles que j’avais vues gisantes dans les marais de la plaine. L’une d’elles avait conservé son chapiteau corinthien ; les autres s’entouraient à leurs cimes d’ornemens qui pendaient avec grace comme des stalactites. Sur le sol se voyaient encore les traces d’un pavé en faïence bleue, et sur les murs un revêtement d’émail. Les mosquées de Constantinople, toutes plus modernes (je ne parle pas de celles qui ont été des églises comme Sainte-Sophie), sont en général beaucoup plus grandes, mais m’ont paru bien inférieures par le style à la mosquée déserte d’Aia-Soluk.

Après deux jours passés à Éphèse, nous partîmes pour Magnésie, sur le Méandre. Nous nous étions pourvus d’un guide supplémentaire ; ce n’était cependant pas un homme du pays, et à Éphèse nous