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UNE COURSE DANS L’ASIE MINEURE.

clartés sortirent de ce chaos. Les souvenirs chrétiens sont les plus grands souvenirs d’Éphèse. Ils vont bien à la majesté et à la mélancolie de ces lieux. Selon la tradition des premiers siècles, saint Jean l’évangéliste, la grande lumière d’Éphèse, comme l’appelait l’évêque Polycrate, mourut dans cette ville, qui était un des sept flambeaux mentionnés par l’Apocalypse, et on y montrait la sépulture du disciple bien-aimé. Aujourd’hui, dans les flancs du mont Préon, s’ouvrent deux grottes formidables. Quand on s’engouffre dans leurs profondeurs, quand on lève les yeux sur les rocs noirs et jaunes qu’éclaire à demi une lueur mystérieuse, quand on remonte à la lumière par une pente escarpée, à travers ces roches qui semblent avoir été entassées pêle-mêle par un cataclysme subitement interrompu, on se laisse aller à croire que l’aigle de la vision a habité ce creux de rocher et a eu, dans ces antres vraiment apocalyptiques, un avant-goût des terribles révélations de Patmos.

Je ne vous ferai point une description détaillée des ruines d’Éphèse, notre ami serait plus en état que moi de le tenter ; mais je voudrais vous donner une idée de leur nombre, de leur étendue et de leur effet poétique.

Ces ruines se composent de vastes monumens, les uns formés d’énormes blocs de pierre ou de marbre, les autres construits partie en marbre et partie en briques. Mérimée me faisait remarquer le singulier caractère de cette architecture à la fois coquette et barbare qui semble l’œuvre d’un artiste grec travaillant pour un Romain. La place de plusieurs temples est clairement indiquée par de nombreux fragmens de colonnes, de frises, d’architraves ; sur la montagne sont creusés plusieurs tombeaux, dans l’un desquels peut s’être passée la cosmopolite aventure de la matrone d’Éphèse. Le stade est parfaitement reconnaissable. Dans ce stade, à la tombée de la nuit, tandis que nous écoutions le cri des loups et le miaulement des chacals, nous entendîmes retentir le coup de canon qui annonçait l’ouverture du Ramazan : singulier mélange d’impressions diverses ! Une porte en marbre qui conduit au stade est formée de débris plus anciens : l’un d’eux est un bas-relief funèbre représentant un guerrier à cheval, et un serpent enroulé autour d’un arbre comme Satan dans les Loges de Raphaël et à la chapelle Sixtine ; d’autres portent des inscriptions grecques et latines. On voit déjà les procédés de la barbarie parmi toute cette magnificence. Le théâtre, adossé à la montagne, regardait la plaine. Quelques gradins subsistent encore ; les deux extrémités, par lesquelles la scène touchait aux gradins, sont également