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théâtre d’une civilisation gracieuse. Le dieu de Claros voulut nous montrer que, si son temple était renversé, ses traits n’avaient rien perdu de leur splendeur, et il disparut derrière nous dans une atmosphère d’or, aureus Apollo.

Dans toute l’Asie-Mineure, de deux lieues en deux lieues, on trouve un café (kafenet). Ce mot produit un assez singulier effet dans ces solitudes. Ces cafés, qui tiennent lieu d’auberges, sont souvent des corps-de-garde. Quand on descend de cheval, les soldats du poste, au lieu de vous demander votre passeport, vous apportent une petite tasse pleine d’un café excellent, très chaud et sans sucre, avec une pipe allumée. On s’assied sur une natte, on boit lentement ce café, on fume voluptueusement cette pipe, puis on remonte à cheval, et on continue sa route.

De café en café et de pipe en pipe, nous arrivâmes vers la nuit à Tourbali, petit village où nous devions coucher. Tourbali est situé dans une plaine marécageuse et couverte d’arbustes ; l’été, elle doit être fort malsaine. On nous avait beaucoup parlé du danger de passer une nuit à Éphèse, nous en avons passé trois sans le moindre inconvénient ; mais je ne crois pas qu’il fût prudent d’en faire autant à Tourbali, et je conseille aux voyageurs qui visiteront Éphèse durant l’été de s’y rendre par les montagnes.

Tourbali était notre premier gîte, et ce début n’avait rien d’encourageant. L’aga du lieu était absent ; nous ne pûmes loger dans sa maison ; on nous donna une chambre qui servait habituellement de corps-de-garde. Au moyen d’une natte, sur laquelle nous plaçâmes nos tapis et nos couvertures, nous finîmes par faire un lit assez tolérable. Plusieurs soldats du poste, parmi lesquels il y avait des noirs et quelques habitans de Tourbali, vinrent s’asseoir sur leurs talons et nous regarder en silence. Leur curiosité était d’ailleurs très discrète ; m’ayant vu envelopper ma tête dans mon manteau, ils pensèrent que je voulais dormir, et sur-le-champ ils se retirèrent sans bruit. Ce que j’ai vu des Orientaux m’a donné l’idée d’une certaine urbanité naturelle différente de la nôtre, mais qui ne manque point de tact et de délicatesse. Elle frappe d’autant plus, qu’on est plus loin de l’attendre de ces hommes à visages rébarbatifs, toujours, affublés de poignards, de pistolets, de fusils,

Au demeurant les meilleurs fils du monde.

La matinée du lendemain nous suffit pour gagner la plaine d’Éphèse. Sur notre route, nous rencontrâmes deux de ces tertres que les anti-