Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/163

Cette page a été validée par deux contributeurs.
159
REVUE. — CHRONIQUE.

logue, surtout dans ses expositions. De nos jours, tout écrivain dramatique est condamné d’avance à tomber dans ce défaut ; la différence n’est que du plus au moins. Dans l’ancienne comédie, celle qui s’attachait à montrer des types, les personnages n’ont à faire savoir que leur nom. À la fin même, ce nom seul indiquait en partie le caractère, et épargnait à l’auteur la moitié de la besogne. Qui pourrait dire la profession de Géronte, de Sganarelle, de Valère, d’Éraste, d’Ariste, de Béralde, etc. ? C’est un père faible ou grondeur, un mari jaloux ou un valet comique, un jeune amant passionné, un oncle grave et sensé. Il suffit. Voyons-les agir, sans nous inquiéter de ce qui ne tient pas essentiellement à l’action. On idéalisait les personnages sans nuire à la vérité. La comédie moderne n’idéalise jamais les siens, et il faut reconnaître que M. Scribe a contribué plus que personne à établir sur le théâtre cette vérité absolue qui a détrôné la vérité poétique. M. Scribe individualise tant qu’il peut, et par là son procédé se sépare complètement de celui des vieux auteurs. Il lance tout vivant sur la scène tel personnage que vous pouvez connaître ; Molière y plaçait un être fictif, dans lequel vous reconnaissiez une classe tout entière. Il faut avouer que la manière moderne économise notre plaisir et abrège les études de l’auteur comique. Le premier inconvénient de ce système est d’entraîner fatalement l’écrivain dans cette prolixité dont on se plaint. Mais comment l’éviter ? Il faut classer, étiqueter chaque personnage, nous dire bien rigoureusement son âge, son bien, ses espérances, ses relations dans le monde ; et mille détails pareils, sans lesquels nous crierions à l’invraisemblance, sur lesquels d’ailleurs repose l’ouvrage. Mais tout cela demande du temps, et beaucoup. La peine que l’auteur y dépense ne profite guère à notre amusement, et serait bien mieux employée à serrer la trame d’une intrigue.

D’après ces données, d’après cet exposé fidèle et impartial, autant que nous avons pu, des torts et des mérites de M. Scribe, on voit qu’il serait injuste de nier la portée littéraire de l’auteur d’Une Chaîne. La comédie, telle qu’il l’entend, est-elle la meilleure possible aujourd’hui ? Nous n’oserions l’affirmer. Mais M. Scribe est en possession au théâtre d’une influence sans rivale et de succès aussi nombreux qu’éclatans ; il serait impossible que ces succès et cette influence fussent uniquement le résultat d’un aveuglement universel.


Parmi les auteurs étrangers que l’on cite le plus fréquemment en France et que l’on y lit trop peu, un des plus illustres et des moins connus est, sans contredit, don Pedro Calderon de la Barca. Des cent huit comédies qui nous restent de ce poète, Linguet, à la fin du dernier siècle, en a traduit six ou sept, avec cette liberté cavalière et ce sans-façon alors à la mode qui effaçaient toute la physionomie des originaux. Plus récemment, M. de la Beaumelle, dans la collection des Théâtres étrangers, en a traduit huit ou neuf, avec plus de scrupule, mais non pas encore avec une fidélité irréprochable. Enfin, des soixante et douze Autos sacramentales, ou pièces religieuses allégoriques dues au même poète, aucune, que je sache, n’a encore été transportée