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effet de la vibration. « Cependant, dit sir John Malcolm, on lui rend des honneurs divins ; son nom d’idole est Moulk-i-Meïdan, le monarque de la plaine. Les guirlandes suspendues autour de sa gueule béante sont souvent renouvelées ; on brûle de l’encens devant ce canon ; les indigènes ne s’en approchent que les mains jointes et en lui faisant le salam ; les parfums et l’huile lui sont prodigués. Enfin il est dieu, et toutes les castes, toutes les sectes, vénèrent le pouvoir de destruction logé dans ses entrailles de bronze. C’est, il est vrai, un formidable personnage, qui pèse vingt tonneaux, et dont le métal, frappé seulement d’un bâton, rend un son à la fois clair et puissant, semblable à celui de la plus grosse cloche, et que l’oreille ne peut supporter qu’à une certaine distance. On prétend que le cuivre qui domine dans la composition de ce canon contient un faible alliage d’or, une portion d’argent plus considérable, et de l’étain en plus grande quantité. La poésie colossale des indigènes lui a inventé une sœur, mademoiselle Kourk-o-Bourdglie (foudre et éclair), autre pièce d’artillerie que personne n’a jamais vue. » Hommage aux grandes puissances de la nature, idolâtrie qui explique tout ce système si mal analysé par les érudits, le système du panthéisme hindou.

Nous n’appuyons pas sur ces faits dans le vain désir d’accumuler les descriptions pittoresques, mais pour démontrer que la lenteur de la conquête morale et du progrès civilisateur opéré par les Anglais était dans la nature même des choses. Ils apportaient les idées les plus strictes, la religion la moins poétique, les coutumes les plus étriquées, les habitudes les moins grandioses, au sein de cette race toute lumineuse, et, comme diraient Ronsard et Dubartas, toute soleilleuse. Le contraste était choquant, et le premier mépris n’est pas vaincu. Les Anglais modernes se sont attachés à détruire la forme, à économiser sur la magnificence et à faire de la grandeur et du génie à bon marché. Tout au contraire, dans les fêtes, les travaux, les institutions hindoues, le même sentiment de la grandeur et de la splendeur règne au point de faire de la réalité un miracle et de la vie un prodige. Les branches des arbres qui ombragent les tombeaux sont chargées de gourrouhs, vases que les Hindous remplissent d’eau sacrée, afin que les esprits des morts puissent venir se désaltérer à leur aise. La vie et la mort se touchent ou plutôt se confondent dans ce pays singulier où un homme se laisse mourir de faim parce que son voisin a déclamé devant sa porte une malédiction en vers, et où la plus grande difficulté des législateurs anglais consiste à empêcher tantôt les veuves de se brûler avec leurs maris, tantôt les pèlerins de se noyer