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REVUE. — CHRONIQUE.

a eu soin de lui apporter, et pour laquelle il n’a eu d’autre peine que de laisser faire. Sur un terrain où cela était facile, il a vu se rallier une majorité nombreuse, qui, une fois formée et dans l’ardeur de sa victoire, pourrait bien le suivre sur des questions plus importantes et plus graves.

La lutte qu’ils viennent de soutenir ensemble a dû cimenter l’union des conservateurs avec cette portion du centre gauche qui suit MM. Dufaure et Passy. Tout dépend maintenant de l’habileté, de la prudence du cabinet. S’il ne met pas l’amitié de ces deux hommes politiques à de trop rudes épreuves, s’il parvenait à éviter ou à faire ajourner certaines questions et à concentrer la lutte parlementaire sur le terrain des affaires extérieures, il pourrait bien conserver des alliés qui, après tout, ne peuvent pas facilement se transporter dans un autre camp, ni rentrer sous la tente pour y rester dans une neutralité boudeuse.

On dirait que le cabinet sentait toute la délicatesse de sa situation en rédigeant le discours de la couronne. On n’a jamais été plus sobre de paroles et plus réservé. Évidemment le ministère essayait de glisser à travers la session avec le moins de bruit possible. Nous avons signé la convention du 13 juillet ; nous ferons quelques économies, et on vous proposera des chemins de fer : c’est là tout le discours. Nous oublions une énigme à propos d’Alger. Le gouvernement, a-t-on ajouté, a pris des mesures pour qu’aucune complication extérieure ne vienne altérer la sécurité de nos possessions d’Afrique. La presse a essayé de trouver le mot de l’énigme. Ceux-là nous paraissent l’avoir trouvé qui ont vu dans ces paroles une allusion aux affaires de Tunis et aux velléités belliqueuses de la Porte ottomane.

Le discours n’est remarquable que par les choses qu’on y a passées sous silence. Aussi les hommes politiques se demandaient-ils, après l’avoir entendu, ce qu’était devenue la péninsule espagnole, si elle était encore attachée à nos frontières, partie intégrante et essentielle de l’Europe occidentale. On n’a pas tardé à apprendre que, si en effet il était quelque peu singulier de n’en pas parler du tout, il était par trop difficile d’en parler convenablement. Après avoir reçu, dès son entrée sur le territoire espagnol, tous les honneurs qui étaient dus à la haute mission qu’il allait remplir, M. de Salvandy a vu s’élever, au sujet de la présentation de ses lettres de créance à la reine, une difficulté que rien ne justifie. On veut à tout prix mettre obstacle au rétablissement de ces relations intimes et amicales qui doivent exister, dans leur intérêt commun, entre la France et l’Espagne. On redoute l’influence française ; on agit, à Madrid, sous les mêmes inspirations qui ont animé, au préjudice de la France, d’autres agens à Constantinople, à Athènes, en Égypte, en Syrie. Empressons-nous d’ajouter que le régent et le ministère espagnol sont étrangers à ces intrigues ; ils n’ont qu’un tort, c’est de ne pas trouver en eux-mêmes la force d’y résister, c’est de ne pas oser secouer un joug qui les rabaisse, c’est de ne pas déclarer tout haut qu’ils ne veulent pas gouverner au gré d’une minorité et dans les intérêts de l’influence anglaise. Nous ne savons pas si le cabinet Peel excite ou encourage le parti anti-français en